Chaque année, il est d’usage de présenter ses vœux. Cette fois, la tradition prend un parfum particulier. On ose à peine formuler “Bonne année !” – encore moins sur un ton enjoué – ou alors pour s’en convaincre –, tant la crise sanitaire est venue bousculer nos vies, remettre en question nos essentiels, battre en brèche nos certitudes. Nous avons appris à faire vivre de nouveaux mots au quotidien : attestation, confinement, couvre-feu, masques, distanciation sociale… Confrontés au principe d’une nouvelle réalité, contraints et forcés de nous adapter, cette crise aura au moins eu le mérite de nous libérer de nos routines habituelles, de nous ouvrir les yeux sur ces métiers essentiels jusque-là invisibilisés, de porter plus haut les valeurs de solidarité, de nous pousser à nous réinventer.
Du côté des acteurs de la distribution, au cœur de la dynamique d’approvisionnement des populations confinées, la crise sanitaire a porté un puissant coup d’accélérateur aux processus de transformation digitale. Avec une croissance des ventes de l’ordre de +30 % à +40 % en novembre 2020 (au même niveau que lors du premier confinement), le e-commerce, perçu comme un moyen de subsistance, a logiquement surperformé. Si l’acte d’achat final restera toujours majoritairement effectué dans des magasins physiques, l’avenir semble se dessiner du côté des places de marché et des enseignes présentes sur le web. Développement du click & collect ou du ship-from-store, les enseignes physiques accentuent encore leur digitalisation pour proposer une omnicanalité sans coutures. La Fevad souligne, d’ailleurs, que les enseignes qui avaient lancé une stratégie Internet avant le printemps 2020 ont gagné deux à trois ans de développement avec cet apprentissage forcé en accéléré.
La crise sanitaire a également accéléré les tendances émergentes avant la crise. Les acteurs de la distribution repensent la consommation autour de la question du sens, du retour à l’essentiel, du local, avec un triptyque environnement, social et sociétal. Sous la contrainte du confinement, les consommateurs ont expérimenté de nouvelles voies d’approvisionnement avec, à la clé, l’émergence d’une dualité entre ceux qui aspirent à consommer responsable, durable et plus qualitatif et ceux qui ont été fragilisés sur le plan économique par la crise sanitaire et pour lesquels l’arbitrage va plus que jamais s’opérer au niveau du prix. Une forme de conflictualisation entre le jaune et le vert où les enseignes devront inventer de nouvelles voies pour assurer l’accessibilité économique de la qualité au plus grand nombre, pour démocratiser le “consommer mieux”.
Comme le souligne Bruno Latour, “Il n’y a rien dans le frigo qui ne dépende du climat”. Le sociologue des sciences et philosophe estime que la crise climatique et sanitaire constitue un principe de réalité qui pousse les entreprises à s’interroger sur leurs effets, sur ce qui les rend
souhaitables et sur ce qui leur permet de subsister, et non plus seulement de prospérer : “Pas plus qu’on ne peut continuer de “faire la guerre” au virus en ignorant la multitude des relations de coexistence avec eux, pas plus on ne peut continuer “à produire” en ignorant les relations de subsistance qui rendent possible toute production. Voilà la leçon durable de la pandémie”.
Bonne année !
Francis Luzin, Directeur de la publication