Assurer une juste répartition de la valeur tout au long de la chaîne alimentaire. C’était tout l’enjeu de la loi Egalim, initiée il y a déjà 5 ans. Sauf que la loi évolue, désormais, dans un contexte inédit de volatilité des matières premières et d’inflation et a besoin, elle aussi, d’évoluer. Pour tenter d’y remédier, le gouvernement a lancé, le 2 mars dernier, en pleine crise agricole, une mission parlementaire afin de renforcer son dispositif et « répondre aux interrogations qui entourent les négociations entre distributeurs et fournisseurs de l’agroalimentaire » (sic). Avec, pour objectif, de simplifier et d’optimiser l’existant afin d’opérer une meilleure applicabilité de la loi au niveau national, tout en se donnant les moyens d’élargir le cadre au niveau européen. Des travaux qui donneront lieu à un rapport qui sera dévoilé
avant l’été et servira de base de travail pour de futures évolutions de la loi.
Car il ne s’agit pas d’inventer une nouvelle loi Egalim. Comme le souligne Thierry Dahan, médiateur des relations commerciales et agricoles, « il faut arrêter de parler d’Egalim 1, 2, 3, 4, 5. Il n’y en a qu’une seule et elle tient en deux mots : un, on contractualise ; deux, on fait la marche en avant. Le reste, ce sont des améliorations techniques ».
Reste que, pour les agriculteurs, le compte n’y est pas. Même si Egalim a permis une meilleure contractualisation, beaucoup d’entreprises agroalimentaires ne veulent pas signer d’accords. « Le premier enjeu est de s’assurer que la loi s’applique dans toutes les filières et sur l’ensemble du territoire », rétorque Jean-Noël Darniche, DG du groupe Bonduelle, qui a mis en place, comme d’autres industriels, des contrats avec 2 000 partenaires agriculteurs. Des contrats pour garantir des prix et des volumes, mais aussi pour accompagner financièrement les agriculteurs vers une transition écologique qui nécessite des investissements conséquents. « Nous nous sommes toujours adaptés pour faire évoluer nos pratiques. Mais comment faire si nous n’avons plus les moyens de vivre décemment ? », interroge un producteur de lait.
D’ailleurs, selon les distributeurs, l’objectif de protection du revenu des agriculteurs dans les multiples lois votées ces dernières années a été dévoyé. Raison pour laquelle ils réclament une généralisation de la contractualisation amont, et une transparence des industriels afin de garantir la protection de la matière première agricole. Soit, concrètement, qu’il soit fait obligation aux industriels, sous peine de sanctions, de mener leurs négociations de premier niveau avec les producteurs, avant la négociation de 2e niveau avec les distributeurs. Autre exigence : la suppression de « l’option 3 » qui permet, selon eux, aux grands industriels d’acheter de la non-transparence. « À un moment donné, le jeu des options ne fonctionne plus, il faut être plus directif », prévient aussi Thierry Dahan. Enfin, selon les distributeurs, la question du revenu agricole ne peut être traitée sans appréhender les autres débouchés, la grande distribution, ne représentant que moins de la moitié d’entre eux. « Il est grand temps d’étendre les obligations d’Egalim aux acteurs de la restauration hors foyer ainsi qu’aux grossistes industriels ! », estiment-ils, arguant que « la grande distribution ne peut pas tout ! ». Ni les acteurs de la restauration d’ailleurs, leurs achats ne représentant qu’environ 18 % des matières premières agricoles. Alors que l’industrie agroalimentaire, qui reste le premier débouché de l’amont agricole à hauteur de 70 %… renvoie la balle du côté des distributeurs, l’Ania estimant que « le bloc de lois Egalim est aujourd’hui mis à mal dans les négociations commerciales par la course aux prix toujours plus bas et par la course aux parts de marché que se livrent les distributeurs ». Reste que pour Rémi Agrinier, éleveur ovin dans l’Aveyron, l’affaire est entendue : « Beaucoup d’entreprises ne veulent pas signer de contrats garantissant prix et volumes. Il faut qu’elles soient sanctionnées. Nous nous engageons à respecter la loi et elles, elles ne le font pas. Je ne vois pas pourquoi on continuerait comme ça ! ».
Francis Luzin
Directeur de la publication