Bataille sur les chiffres. Selon l’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir, le trimestre anti-inflation mis en place le 15 mars par le gouvernement, en accord avec les distributeurs, n’aurait pas eu l’effet escompté. Pire, les prix auraient même « légèrement augmenté », entre le 23 mars et le 10 mai, dans les enseignes Intermarché (+ 1,5 %), Casino (+ 1,4 %) et Système U (+ 1 %). Et l’association d’en déduire, qu’en mai 2023, « les prix ont augmenté de 8,5 % par rapport aux prix de décembre. La mise en place des paniers anti-inflation n’a en rien permis de juguler l’inflation qui a débuté début 2022 ».
De quoi faire bondir de son fauteuil de ministre de l’économie Bruno Lemaire qui dénonce une « méthodologie malhonnête », en d’autres termes, de comparer les choux et les carottes puisque cette étude ne tient pas compte des prix avant et après le 15 mars… Ce dernier persiste et signe : sur 7 semaines, les prix des produits concernés par la mesure anti-inflation ont bien baissé de 13 % en moyenne. De quoi justifier la prolongation du dispositif au-delà du 15 juin.
Cette passe d’armes médiatique révèle les tensions croissantes autour de l’inflation, qui atteignait 5,9 % en avril et jusqu’à 15 % en un an sur les produits alimentaires, pénalisant chaque jour un peu plus les consommateurs. Au sortir du week-end de Pâques, les distributeurs s’alarmaient d’une baisse de la consommation en magasins. Selon l’institut Circana, de janvier à mars, les ventes de PGC ont chuté de 5 % en volumes, soit un niveau inférieur à 2019 et jusqu’à 9 % entre le 27 mars et le 2 avril. Les enseignes s’accordent aujourd’hui pour prolonger les opérations anti-inflation. Dominique Schelcher, PDG de Système U, a même annoncé prolonger le trimestre anti-inflation jusqu’à la fin de l’année. Toutefois, le patron d’Intermarché Thierry Cotillard a déjà fait savoir qu’il conditionnerait sa prolongation à la réouverture des négociations commerciales.
Et pour cause. Depuis le printemps, le ministère de l’Économie pousse les distributeurs à rouvrir les négociations annuelles afin de faire baisser les prix en rayons. Problème, selon les enseignes, les industriels « font les morts » alors que les prix des matières premières s’infléchissent et que les dernières négociations commerciales, achevées au 1er mars, ont abouti à une hausse moyenne d’environ 10 % des prix payés par les supermarchés à leurs fournisseurs. Pour Olivia Grégoire, la ministre déléguée au Commerce, la coupe est pleine : face à la hausse des prix alimentaires, « l’État a pris sa part, les distributeurs également, les consommateurs la prennent au quotidien. Nous attendons désormais que les industriels prennent la leur » a-t-elle déclaré lors d’un débat à l’Assemblée nationale, menaçant de « name and shame » : citer publiquement le nom des marques refusant de baisser leurs marges en dépit des profits engrangés. Bruno Le Maire, quant à lui, ne s’interdit pas d’utiliser « l’instrument fiscal » pour récupérer auprès des industriels les « marges indues faites sur le dos des consommateurs ».
Pression maximale, donc, sur l’industrie agroalimentaire qui se rebiffe. « Non, il n’y a pas de profiteurs », s’est indigné Jean-Philippe André, président de l’Ania. Même réponse du côté des agriculteurs, dont le nouveau porte-parole, Arnaud Rousseau, président du syndicat majoritaire FNSEA, a déploré la « surenchère », alimentée par le ministre de l’Économie et les distributeurs. Selon ce dernier, une nouvelle guerre des prix impacterait le revenu des agriculteurs et la pérennité des exploitations. Du côté des PME et ETI de l’agroalimentaire, représentées par l’Adepale, l’on dénonce « une fragilisation » des fournisseurs alimentaires et du maillon agricole, alors même que le gouvernement vient de déployer un plan de soutien historique de la filière, en faveur de la souveraineté alimentaire et la protection des petites entreprises. Une polémique que les dernières déclarations de Michel-Édouard Leclerc ne vont pas apaiser : le héraut du pouvoir d’achat a annoncé vouloir vendre moins cher ses produits à la rentrée, quitte à aller « chercher des rabais et des remises » ailleurs en Europe… La guerre entre distributeurs et industriels est loin d’être terminée.