Du pouvoir d’achat et de l’injonction ludique pour en gagner en dépensant plus.
De Juvénal aux Frères Karamazov de Dostoïevski ou encore du tittytainment du démocrate Zbigniew Brzezinski, ex-conseiller du président des états-Unis Jimmy Carter, jusqu’à la trilogie des Hunger Games, l’expression « du pain et des jeux du cirque » ne semble pas avoir pris une ride.
On connaissait déjà les défis sportifs proposés sur des applications de coaching ou d’enseignes, à l’image de Decathlon qui accompagne ses potentiels clients vers une pratique sportive. Désormais, la grande distribution se prête aussi au jeu. À l’image du programme d’engagement personnalisé pour fidéliser ses clients encartés lancé, en avril dernier, par Intermarché, et baptisé « Mes défis gagnants ». Les miens et pas ceux d’un autre consommateur. Globalement, plus vous jouez – comprendre achetez –, plus vous avez de chances de gagner quelques euros. Un défi de consommation drivé par l’IA, avec 3 niveaux de récompense, comme dans un jeu vidéo, où il faudra parfois, en plus, réaliser une mission, comme laisser un commentaire sur la marque ou regarder une publicité…
Dans cette période marquée par l’inflation, les jeux sous forme de défi ou via les bornes en magasin se multiplient. Les enseignes allant même jusqu’à souligner qu’ils permettent de distribuer du pouvoir d’achat, même s’il ne s’agit que de quelques centimes d’euros. Et ça marche. Les clients en raffolent. Sans compter. Consommez pour gagner dit l’injonction. Amusez-les, ils n’y verront rien.
Dans le même temps, les associations caritatives ont tiré le signal d’alarme sur l’explosion de la précarité sociale. Certaines enseignes ont répondu à l’appel.
Dans le même temps toujours, le terme shrinkflation (contraction de shrink – rétrécir – et inflation) est devenu médiatique. Cette pratique marketing qui consiste pour les industriels à baisser la quantité d’un produit en ne changeant pas ou peu son prix facial, tandis que le prix au kilo ou au litre s’envole, sans en informer très clairement le consommateur, existe depuis longtemps et n’est pas illégale. Sauf qu’elle prend de l’ampleur. Et que tous les acteurs font mine de la découvrir. Du coup, elle est devenue la cible de tous.
Intermarché a lancé une campagne d’affichage dans ses magasins en accusant Findus d’avoir induit le consommateur en erreur en augmentant de 68 % le prix au kilo de ses boîtes de pommes de terre rissolées. Findus a répliqué en expliquant qu’il avait globalement subi une inflation de 69 %, et que le changement avait été opéré de façon transparente avec les consommateurs. Parallèlement, BFMTV a répertorié 122 références nationales touchées par la shrinkflation dont la liste a été envoyée aux distributeurs, avec parfois des augmentations de plus de 110 % au kilo.
Face à cette inflation masquée, Bruno Le Maire a indiqué qu’il y aura « une disposition qui obligera les industriels à faire figurer de manière très visible la réduction de contenu » dans un texte de loi qui sera présenté en octobre encadrant les relations commerciales. Une proposition soutenue par Michel-Edouard Leclerc qui s’est indigné de cette « manière peu transparente de faire monter le prix des produits », sur BFMTV. De son côté, Carrefour fait figurer, depuis le 11 septembre, une mention « ce produit a vu son contenant baisser et son prix augmenter ». Une opération de communication troublante dans la mesure où, en mai dernier, le groupe avait été épinglé par le magazine 60 millions de consommateurs dénonçant une shrinkflation opérée par… Carrefour lui-même sur certaines marques propres… En attendant, Alexandre Bompard, le patron du groupe, a estimé qu’avec la shrinkflation, « on est dans le comble du cynisme ». Un bel exemple de projection. Panem et circenses.
Directeur de la publication : Francis Luzin