L’heure n’est plus au débat. Nous vivons à crédit. Et dans un monde qui comptera bientôt 10 millions d’habitants, le jour du dépassement va inévitablement intervenir de plus en plus tôt. Les ressources naturelles sont limitées. Les crises de l’eau, du sable, de l’air, des terres, commencent à se dessiner. Dans une dizaine d’années, 60 % du PIB mondial sera porté par 750 métropoles, des villes interconnectées parfois plus puissantes que certains États et qui émettront 75 % des émissions de CO2. Face aux enjeux climatiques, aux enjeux de la biodiversité, il faut changer de paradigme. Passer d’un modèle économique linéaire – produire, consommer, jeter – à un modèle circulaire qui intègre l’ensemble du cycle de vie des produits, de leur écoconception à la gestion des déchets en passant par une consommation raisonnée qui évite le gaspillage. Une transition complexe que les entreprises abordent, désormais, avec succès. Cette fois, les lignes commencent vraiment à bouger. Mais le cheminement aura été long depuis 1972, où le Club de Rome abordait l’épuisement des ressources naturelles dans son rapport sur “Les limites de la croissance”. Ce qui montre à quel point nous sommes lents pour nous saisir d’enjeux pourtant vitaux et inéluctables.
Donc attention. Économie circulaire ne veut pas dire recycler à l’infini. L’économie circulaire ne se résume pas non plus à recycler le plastique : d’ailleurs, seul 13 % du plastique mis sur le marché est recyclé ; 35 % finit en mer avec les conséquences désastreuses que l’on connaît ; et le reste part en déchetterie. La circularité est un enjeu majeur bien plus ambitieux qui offre de nouvelles pistes pour agir avant qu’il ne soit trop tard face aux défis que nous devons relever. L’économie circulaire vise, ainsi, à réintégrer les externalités négatives (les conséquences néfastes sur l’environnement non prises en compte dans le modèle linéaire) dans des schémas de valeurs respectueux de la nature et de la production des biens dès leur écoconception.
Et le carburant principal de l’économie circulaire, c’est la donnée. Une donnée ouverte, accessible à tous, enrichie par l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, du producteur au grossiste, du transporteur au distributeur, du consommateur à l’opérateur de recyclage chargé de réintégrer la matière dans le circuit de production. Car pour recycler correctement un produit, il faut pouvoir accéder aux informations qui le caractérisent. Quels sont les matériaux utilisés ? Y a-t-il des substances toxiques ou dangereuses ? Quel usage a-t-on fait du produit ? Comment a-t-il été démonté avant d’arriver chez le recycleur ? Ainsi, le travail sur les données est primordial pour répondre aux enjeux de l’économie circulaire : en amont pour l’écoconception des produits, des emballages puis pour organiser sa recyclabilité ou sa substitution ; et en aval pour informer le consommateur de ce qu’il achète.
Pour passer d’un modèle linéaire à un modèle circulaire, il faudra ainsi, s’inscrire pleinement, dans une perspective d’open data avec trois enjeux : une traçabilité parfaite des produits et de leurs composants assurant une transparence efficiente de la supply chain ; une standardisation universelle et intersectorielle de la donnée ouverte à tous ; et une globalisation au niveau mondial. Car une économie circulaire en mode “propriétaire”, c’est-à-dire sans collaboration, sans échanges et sans systèmes fondés sur des règles communes est illusoire. Les data pertinentes détenues par les différents acteurs de la chaîne doivent être au cœur des systèmes d’information en conciliant impératifs d’ouverture et d’intégrité des données. Pour, ensuite, circuler.
Francis Luzin, Directeur de la publication