Le bio fait toujours recette. Jusqu’à quand ? Après l’engouement des dernières années, le marché semble marquer un léger fléchissement. Il faut dire que depuis 5 ans, l’arrivée de nouveaux acteurs et l’augmentation de l’offre et du nombre de références en magasin avait mécaniquement conditionné la bonne santé du rayon et du bio en général. Le marché affichant alors des croissances insolentes à deux chiffres. Avec la crise sanitaire et la tension sur le pouvoir d’achat, les lignes ont quelque peu bougé. Les marques conventionnelles de PGC, qui s’étaient essayées au bio avec succès (en croissance de 40 % ces deux dernières années), ont légèrement marqué le pas, recentrant leurs efforts de soutien sur les produits dits essentiels, qui sont aussi ceux qui génèrent le plus de chiffre d’affaires.
Dans le même temps, les tendances de consommation déjà émergentes se sont accélérées et se sont davantage ancrées avec la pandémie : le mieux manger, le local, le bien-être animal, le fait-maison, tout ce qui rassure et donne du sens a été plébiscité. Mais la période a été aussi l’occasion pour les consommateurs de faire le tri dans les propositions. Si le rapport entre alimentation et santé a fait un bond en 2020, l’année a aussi fait émerger une prise de conscience d’un certain greenwashing face à l’offre exponentielle du bio et aidé les consommateurs à réaliser qu’il y a bio et bio. Manger un produit bio local et de saison et manger un produit bio qui vient de 3 000 km emballé dans des surcouches de plastique, ce n’est pas la même chose. Ainsi, les attentes des clients des réseaux bio et de GMS qui, encore récemment, pouvaient être disparates, commencent à converger en partie. L’attractivité prix et l’exigence d’efficacité des produits bio, principaux moteurs d’achat en GMS, ne suffisent plus, mais resteront la porte d’entrée pour nombre de consommateurs. Le simple respect d’un cahier des charges bio est considéré comme un prérequis évident et la demande de confiance s’étend désormais à des notions comme le local, la transparence sur les ingrédients, le développement durable ou les engagements RSE. Poussant les différents acteurs à clarifier leur positionnement et à s’inscrire dans des démarches et pratiques vertueuses au-delà du bio. Autrement dit, à répondre à la demande globale de cohérence et de sens. Et faire en sorte que le bio ne soit pas qu’un vulgaire argument marketing. D’autant que les fidèles de la bio, qui ne sont pas majoritaires en nombre mais qui réalisent le plus gros du chiffre d’affaires, ne veulent pas de bio, mais de LA bio, c’est-à-dire une bio augmentée fidèle aux engagements des fondateurs, un projet sociétal qui s’accompagne de dimensions sociales, nutritionnelles, de développement durable, de commerce équitable… là où l’acte d’achat devient un vote.
Une équation difficile pour les acteurs de plus en plus nombreux, parfois opportunistes, qui multiplient les promesses marketing pas toujours sincères, les labels et certifications en tous genres. Les uns s’essayent au bio stricto sensu, et tant mieux ; d’autres surfent sur des offres sans résidus de pesticides, mais pas bio ; d’autres renforcent leurs engagements historiques vers une bio augmentée et le revendiquent davantage. Laissant perplexe un consommateur en manque de repères dans cette jungle de propositions qui se veulent vertueuses. Une surenchère loin de l’image d’Epinal de la bio où l’on actionne les mêmes ficelles que le marché conventionnel. Aujourd’hui, c’est bien la grande distribution qui domine le bio en France avec une PDM estimée à 60 % des ventes. Une surenchère qui invite à sa table des serres chauffées pour la production de fruits et légumes, de la production intensive, de la guerre des prix, au risque de provoquer une défiance des consommateurs et pousser, demain, le bio au crash. Chacun cherche son bio au risque de se perdre. Et si dès maintenant, les acteurs marchaient main dans la main pour faire émerger une offre réinventée qui concilierait, au lieu d’opposer, les différentes approches, entre un bio efficace et attractif au niveau prix, et la bio qui intègre les nécessaires transformations pour porter les valeurs sociales et sociétales historiques des pionniers vers plus de local, de pratiques vertueuses, de produits bons pour l’Homme et la planète. Ce serait bien, non ?
Francis Luzin, Directeur de la publication