A… comme Amazon ou Alibaba… R… comme Rakuten… Et, plus généralement, E… comme e-commerce. Sera-t-il le grand gagnant de la pandémie de Covid-19 et de ses confinements avec la fermeture des commerces physiques et rayons non-essentiels ? C’est, en tous cas, la crainte partagée par l’ensemble des acteurs à l’approche du Black Friday et des fêtes de fin d’année, périodes clés en termes de chiffre d’affaires pour nombre de commerçants. Une crainte qui vise, en particulier, les places de marché internationales de e-commerce.
Pour une fois, l’on peut dire que le Gouvernement, avec l’annonce de ses mesures capricieuses et distillées au compte-goutte, fait l’unanimité… contre lui. C’est une véritable bronca qui s’élève, aux accents parfois dichotomiques. D’un côté, les acteurs du commerce physique disent être conscients de l’urgence sanitaire mais, de l’autre, regrettent la fermeture des commerces dits non-essentiels. Ils crient à la concurrence déloyale envers les e-commerçants mais, aussi, des grandes surfaces autorisées à vendre des produits non-essentiels. Chaque fédération joue les notes classiques de ses éléments de langage accompagnés de mots tranchés, à la hauteur de l’anxiété des adhérents des secteurs qu’elles représentent : “hérésie”, “commerce condamné”, “injustice”, entend-on. Un discours relayé par nombres d’élus, parfois soupçonnés de récupération politique, pour défendre les commerces de proximité. Face à cette deuxième vague de mécontentements, le Gouvernement tente une autre partition pour arrondir les angles de ce confinement II très brouillon. Alors même que certains distributeurs avaient pris les devants en affichant une approche “solidaire” avec les petits commerçants (Système U proposait d’accueillir pépiniéristes et fleuristes, Carrefour offrait des espaces de vente dans ses hyper pour les libraires indépendants, idem pour Auchan avec en plus la mise à disposition de ses comptoirs de retrait Mondial Relay), le Gouvernement, plutôt que d’assouplir les règles pour les petits commerces qui ont investi pour s’adapter aux nouvelles règles sanitaires, décide de fermer les rayons de produits non-essentiels des grandes surfaces pour ne pas concurrencer ces petits commerçants déjà interdits d’en vendre, offrant par là-même un boulevard hors du commun aux acteurs du e-commerce, les A en tête.
Mais au fait, c’est quoi un produit essentiel ? En fait, personne n’en sait rien, enfin pas vraiment. Ni même le Gouvernement à qui il aura fallu plus de 24 heures pour dresser une liste incertaine de ce qui sera autorisé ou pas à vendre dans les rayons des grandes surfaces… laissant aux distributeurs un seul jour pour tout réorganiser en magasin. Et là, comme le souligne judicieusement MEL sur son blog, “la fermeture des rayons dits non-essentiels, c’est le bordel !” Une situation ubuesque que Olivier Dauvers raconte à merveille sur Twitter en relatant les péripéties de chefs de rayon complètement paumés pour choisir ce qui est essentiel ou non. Les situations relèvent de la comédie de boulevard ; ce serait drôle si, derrière, il n’y avait pas ce sentiment de navigation à vue du Gouvernement laissant tout un secteur face à des mesures incohérentes, un gouffre d’incompréhension, des craintes légitimes et un sentiment d’irrespect et d’infantilisation : “puisque c’est comme ça, vous serez punis tous les deux, petits commerçants et grandes surfaces”, croit-on entendre comme s’il agissait d’une cour de récréation, renvoyant dos à dos deux protagonistes insolents. Encore une fois, pour le plus grand bonheur des A.
Soyons rassurés, il n’y a pas de risques pour les acteurs du commerce français selon Cédric O, secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique qui voit midi à sa porte : “Rappelons qu’Amazon ne représente que 20 % du e-commerce en France, que de très nombreuses entreprises françaises sont leaders : Fnac, Cdiscount, Veepee, Mirakl, ManoMano… La hausse du e-commerce leur profite d’abord à elles. Arrêtons de nous flageller”… Ce qui est certain, en revanche, c’est que tous les acteurs, petits commerçants comme grandes enseignes physiques ou hybrides, redoublent d’imagination et d’innovation IRL : la révolte des non-A n’est pas en marche, ce serait indécent, elle gronde.
Francis Luzin, Directeur de la publication