Qu’est-ce qui définit l’âme d’un commerçant? Sa capacité à accueillir, conseiller, accompagner ses clients. Son empathie, son écoute de l’autre qui le conduisent à se placer à son service. À être à l’affût de ses moindres besoins. Comme on dit, à ses petits soins. Savoir créer les conditions suffisantes pour que se mette en place le jeu de séduction propre à la vente. Le duo magique qui transforme une relation marchande en une relation humaine. Incarnée par les magasins de quartier, les boutiques de centre-ville, l’âme du commerce semble se diluer à mesure que la surface en mètres carrés augmente. Sur 1?004 Français interrogés par l’Institut de sondage Viavoice, 68% déclarent ne pas se sentir proches des hypermarchés. Quand 61% se sentent proches, voire très proches, des épiceries. L’âme serait donc une question de taille? Plus que ça: une question d’hommes.
À l’origine, il s’agit bien de cela: le commerce, dans sa dimension holistique, selon le sociologue Michel Maffesoli, est à la fois le commerce des biens, des affects et des idées. L’activité marchande est, avant tout, une rencontre entre deux individus. On a beau penser que les hypermarchés ou les centres commerciaux sont des endroits sans âme, déshumanisés, il n’empêche que cela reste des lieux où les hommes se croisent, se frôlent et se rencontrent. Au détour d’un linéaire ou entre deux meubles frais du rayon fruits et légumes. Les magasins sont des lieux de désir, de convoitise. On se délecte d’y toucher la marchandise, d’y humer les parfums, d’en goûter, parfois, d’appétissants produits. On y épanche sa faim et sa soif par anticipation, on y vit par procuration, on s’y projette. Le commerce est une grande mécanique du désir qui joue des sens et des humeurs des hommes. Quitte à leur en faire perdre la raison, à l’image du grand magasin décrit par Zola, lieu de toutes les tentations pour les femmes prêtes à succomber aux charmes d’une vente.
Du XIXe?siècle à l’époque postmoderne, rien n’a vraiment changé si ce n’est que, plus que jamais, l’achat d’impulsion demeure le Graal des commerçants. Bienvenue dans l’ère émotionnelle: celle où l’envie prime sur le besoin, où le plaisir remplace la nécessité. Au règne des émotions, le magasin physique est roi. Vecteur de sensations, il est capable d’adresser à la fois le corps et l’esprit des consommateurs, de les appréhender dans leur globalité charnelle et spirituelle. Pas étonnant, alors, que Franprix cherche à retrouver son âme d’épicier à travers son nouveau concept de proximité Mandarine, mixant restauration, produits frais et service client. Plus que des achats, c’est une expérience totale que l’enseigne propose. “Nous avons voulu créer un lieu de vie”, indique Jean-Paul Mochet, directeur général de Franprix. Redynamiser une chaîne de magasins vieillissants pour en faire un pôle d’attraction au cœur des villes. Et redonner, par là même, une âme aux quartiers. Une identité.
Car comme chaque homme a son histoire, chaque magasin possède une personnalité définie par une zone de chalandise, une typologie de clients et un agencement intérieur (et extérieur) particulier. Aux commerçants de mettre l’accent sur cette différence. Tout magasin, centre commercial ou boutique de quartier, détient une part de rêve. Un imaginaire à travailler, un capital immatériel à exploiter. Plus que jamais, les clients gavés de biens en tout genre et sur-sollicités ont besoin d’être surpris. Sortis de l’ennui provoqué par un commerce standardisé. Et, bien sûr, considérés. Cela passe par des services, de l’attention, du respect quant à leurs attentes. Tel le marcheur de Giacometti, les pieds plantés dans la terre et la tête dans les airs, le consommateur attend des commerçants qu’ils lui offrent un supplément d’âme. Un antidote à la mélancolie et au désamour des magasins.