Un réseau à l’image d’un homme

Avec 3850 collaborateurs, une présence dans 4 pays européens, un chiffre d’affaires en croissance sur un marché en repli… Bricorama serait-il devenu un empire ? Aujourd’hui, sans hésiter. Mais à y regarder de plus près, l’enseigne conserve un visage atypique dans l’univers des grandes surfaces spécialisées de bricolage. Flashback. C’est à Paris, dans un magasin de bricolage baptisé la Maison du 13e, que tout commence. Nous sommes en 1975. A l’époque, Jean-Claude Bourrelier a 29 ans. Autodidacte et entrepreneur dans l’âme, ce jeune homme plein d’ambition vient de démissionner de Black & Decker où il était vendeur. “Comme je n’avais pas fait d’études, on m’a bloqué pour m’empêcher de passer en finance ou au marketing, explique-t-il. Avec le recul, je me dis : tant mieux ! ” La situation aurait pu en décourager certains. Elle va agir sur Jean-Claude Bourrelier comme un électrochoc. Il décide de devenir son propre patron. C’est avec un associé qu’il ouvre son premier magasin de bricolage conçu autour d’une idée avant-gardiste pour l’époque : regrouper au même endroit tout ce dont le bricoleur a besoin. Ce point de vente est alors affilié à l’ANPF, l’Association nationale des promoteurs du faites-le-vous-même, un groupement de magasins spécialisés (qui créera l’enseigne M. Bricolage en 1980). Pas à pas, Jean-Claude Bourrelier va consolider son empire. Dès le début des années 1980, il ouvre cinq nouveaux magasins. Mais un premier “clash” survient avec l’ANPF, en 1983, quand le groupement refuse d’accueillir un point de vente supplémentaire racheté par Jean-Claude Bourrelier aux établissements américains Wickes à Bobigny. Qu’à cela ne tienne : celui-ci crée une nouvelle enseigne, Batkor. En 1990, sept nouveaux magasins plus tard, c’est la rupture avec l’ANPF : le «petit empire Bourrelier» inquiète les dirigeants de la structure coopérative. Croissance externeEn 1992, il décide de racheter Bricorama à Castorama. C’est le début de l’histoire d’un réseau qui ne va cesser de prendre de l’ampleur par le biais d’acquisitions externes… et passera de 15 magasins à 187 aujourd’hui. En 1995, le PDG rachète la Bricaillerie et se hisse à la troisième place des enseignes intégrées de bricolage en France, derrière Leroy-Merlin et Castorama. En 1997, il absorbe la filiale de l’Américain Wickes Plc en Belgique et aux Pays-Bas et goûte, ainsi, à l’international. En 1998, c’est le tour d’Outirama, puis de magasins Bricostore et Gamma, en 2001. Mais surtout, le groupe parvient à résister à la pression qu’exercent les hypermarchés pour entrer dans le capital des enseignes spécialisées de bricolage (celles-ci étaient autrefois détenues par des familles, comme les Dubois à la tête de Castorama ou les Leroy-Merlin). Un type d’alliance qui permet, en effet, d’accéder à des leviers d’investissement et des conditions d’achat avantageux… Mais pour Jean-Claude Bourrelier, l’indépendance n’est pas négociable. Et tandis que ses concurrents sont grignotés petit à petit par les grands groupes (le capital de Castorama passe aux mains de Carrefour en 1977, puis de l’Anglais Kingfisher en 1998 ; dès 1981, celui de Leroy Merlin est détenu à 50% par Auchan), Bricorama, lui, tient bon. L’enseigne entre, néanmoins, en Bourse, en 1996, pour préparer une levée de fonds dans l’optique du rachat de Brico en Belgique. Le capital de Bricorama reste, aujourd’hui, détenu à 87 % par la famille de M. Bourrelier. 2011, et après ?Avec un chiffre d’affaires de 676 M€ à + 2,6 %, Bricorama fait figure de challenger sur le marché. Mais l’enseigne a prouvé qu’elle sait se remettre en questions. D’un point de vue commercial, les projets foisonnent, notamment le nouveau concept lancé en octobre 2009. Partis pris de ce point de vente élaboré avec le cabinet Saguez ? Un recentrage autour de quatre familles de produits à valeur ajoutée (décoration, luminaires, univers de salle de bains, jardin) associé à un remodelling complet des points de vente (gondoles, sol, nouveau logo…). Si l’enseigne reste discrète sur les résultats 2010, les objectifs semblent au rendez-vous comme le laisse envisager le sourire du dirigeant. Ce projet donne, également, à Bricorama une nouvelle envergure. “Les études marketing de 2008 ont montré que nous étions perçus comme une enseigne de dépannage, indique le PDG. Ce nouveau concept nous permet de nous positionner comme une chaîne innovante, capable de répondre à des projets d’aménagement impliquants”. Depuis 2009, le groupe est également doté d’un site de e-commerce, bricoramadirect.fr, dont le panier moyen est de 205€. “C’est à la fois un vecteur d’image, une vitrine pour nos produits et une plateforme incontournable qui contribue à l’attractivité des magasins”, indique Erik Haegeman, directeur général délégué. Seul bémol de l’année 2010 ? Les résultats mitigés de Brico Usine, le magasin discount de Clermont-Ferrand ouvert en avril dernier. Fonctionnant comme un club, les clients doivent acheter une carte de membre (de 19 à 149 € selon la durée d’utilisation choisie), pour pouvoir bénéficier de produits dont les prix peuvent aller jusqu’à -60 %. “Le concept est sans doute trop compliqué, et nous avons fait une erreur de ciblage avec cette zone de test en Auvergne”, conclut Jean-Claude Bourrelier. Une tentative ratée pour contrer l’enseigne Brico Depot, conçue par Castorama en 1995, qui ne cesse de prendre du poids dans l’Hexagone. En termes d’organisation, enfin, le groupe a revu sa copie pour mieux piloter ses achats : via une refonte des gammes, le nombre de références a été réduit de 40 % (à 75 000 contre 115 000 auparavant). Ce projet permet, aussi, de rester compétitif face à des réseaux comme Leroy-Merlin, sur lesquels le dirigeant jette une conclusion sans appel : “Ces enseignes exercent une concurrence complètement déloyale en pratiquant le paiement des fournisseurs à 90 jours. On leur permet ce qu’on ne permet pas aux autres. C’est inacceptable !”. Autant d’actions qui démontrent l’aptitude de Bricorama à s’adapter aux évolutions de sa clientèle pour gagner des parts de marché, tout en pilotant ses choix stratégiques qui conjuguent rentabilité et indépendance… Définitivement, le maître mot de la maison !