Dans le monde merveilleux de la grande distribution, la gourmandise n’est pas un péché… mais un levier de croissance. Réhabilité, assumé, revendiqué, le plaisir s’impose comme la nouvelle coqueluche des enseignes et des IAA. Bienvenue dans “l’ère de la petite gâterie”, comme dirait le sociologue Ronan Chastellier: quand la consommation devient impulsion et que, malgré la crise, l’on cède à un caprice, juste pour se faire du bien. 71% des Français déclarent, ainsi, s’offrir régulièrement un petit plaisir gourmand, révèle OpinionWay. Une aubaine pour les GMS qui voient dans le marché de l’épicerie fine une nouvelle poule aux œufs d’or. Les têtes de gondoles et les linéaires remplis de confiseries haut de gamme suffisent à s’en convaincre: l’art du bien manger est dans l’air du temps et, avec lui, le désir d’acheter des produits d’exception. Plus chers. Plus extraordinaires.
Sortir le consommateur de ses habitudes, bouleverser ses rituels alimentaires, justement, est la quête ultime des GSA. Provoquer un désir tel que l’on sera prêt à dépenser quelques euros de plus pour acheter un produit sans valeur matérielle mais dont la puissance évocatrice et symbolique est bien réelle. S’offrir, par exemple, un plat cuisiné sous la houlette d’un chef connu et reconnu, n’est-ce pas, quelque part, mettre un pied dans un restaurant étoilé? Le cadre et le service en moins mais l’essentiel est dans l’assiette… à un prix dérisoire. La comparaison semble absurde et caricaturale. Pourtant, c’est bien cette problématique-là qui taraude les professionnels de la restauration. Et si, demain, les hypermarchés devenaient les nouveaux restaurants? À mi-chemin entre l’épicerie et le restaurant, à l’image d’Eataly qui vient de signer avec Les Galeries Lafayette. Ou dans une version plus décontractée, façon fast-food, comme l’Atelier Sur Mesure testé par Sodebo en plein milieu de l’Hyper U de Mûrs-Erigné (Maine-et-Loire).
Ces initiatives n’ont rien d’anodin outre-Manche et outre-Atlantique. La retail-restauration est un concept digéré depuis longtemps par les distributeurs étrangers. Mark & Spencer, El Corte Ingles, Walmart et maintenant Ikea, qui vient d’annoncer qu’il allait élargir son offre food et s’allouer les services du pâtissier MOF Philippe Urraca. N’en jetez plus. Les acteurs de la restauration rapides font déjà les frais de la concurrence de l’offre snacking des grandes surfaces, à des prix plus compétitifs et des coûts de production moindre. Concurrence déloyale ou libre-marché? L’hyper s’adapte aux nouveaux usages des consommateurs. Plus mobiles, toujours pressés, souvent désargentés. Il décline son offre au gré des envies: sandwiches sous vide, corners sushis, salades ou pizzas à emporter… et même, à consommer sur place. Les craintes latentes des restaurateurs traditionnels sont légitimes. Sur un marché post-crise, où la tendance du fait-maison progresse lentement, mais sûrement, et où la restauration livrée gagne du terrain, le gâteau n’est pas extensible. Et l’arrivée de nouveaux acteurs rime toujours avec réduction des parts.
Néanmoins. Si l’on peut comprendre ce besoin des distributeurs d’apporter de la nouveauté dans leurs magasins pour réveiller le désir si fragile et fugace, capricieux et éphémère des consommateurs, il ne faut pas perdre de vue les motivations qui poussent les Français à s’asseoir à une table de restaurant ou dans un hypermarché. Si le premier est un lieu de destination, que l’on fréquente par envie, parce que la décoration est sympa, que la cuisine est bonne et les patrons accueillants, le second répond uniquement à un besoin fortuit. Une nécessité, plus qu’un plaisir. Et parce que le consommateur exige, aujourd’hui, que l’on satisfasse tous ses désirs, ces nouvelles offres de restauration sur le point de vente viennent s’ajouter et non se substituer aux établissements traditionnels. Et laissent toujours la place au caprice. Alors… Vous vous laisserez bien tenter ?