À toute crise, ses conséquences. Après plus d’un mois de tourmente, le scandale de la viande de cheval continue de plomber l’industrie agroalimentaire. Du 18 au 24?février dernier, il a engendré une perte sèche de 3,3millions d’euros sur les ventes de plats frais ou surgelés à base de bœuf, indique Nielsen. TPE et PME sont, évidemment, les premières à en souffrir. Difficile d’oublier l’image de la semaine passée: celle de ces deux salariés perchés en haut d’un silo de 30 mètres, fouettés par le vent et la neige. Leur objectif: attirer l’attention du ministre délégué à l’Agroalimentaire, Guillaume Garot, sur le sort de leur entreprise, Fraisnor, basée à Feuchy (Pas-de-Calais) et tout juste placée en redressement judiciaire. Depuis qu’a éclaté l’affaire du cheval, ce fabriquant de lasagnes fraîches a vu ses commandes chuter de 70%. Et une partie de ses 110 salariés contrainte au chômage technique.
Alors, certes, Fraisnor n’a pas attendu le horsegate pour rencontrer des difficultés. Mais il a été, pour les plus faibles, le coup de grâce, sur un secteur malmené, où la consommation de viande bovine accuse un repli de près de 2% en 2012. Et lorsque s’ajoutent à ce désamour les pressions tarifaires de la grande distribution, le bateau coule. Revenues sur le devant de la scène à l’occasion du salon de l’Agriculture, les négociations commerciales ont, en effet, volé la vedette à la viande de cheval. Les déclarations assassines ente distributeurs et industriels y sont pour quelque chose et c’est l’Ania qui a lancé les hostilités. Dénonçant la situation de ces “entreprises toujours plus étranglées par la grande distribution”, son président, Jean-René Buisson a, une nouvelle fois, demandé au gouvernement de faire respecter la Loi de Modernisation de l’Économie (LME). Message reçu côté Gouvernement, puisque, dans la foulée, Stéphane Le Foll a proposé de “renforcer” le dispositif prévu par la LME… Au détriment des commerçants?
C’est en tout cas, l’avis de Michel-Edouard Leclerc qui ne s’est pas gêné pour dire haut et fort ce que d’autres pensent tout bas: les lobbies des IAA sont à l’œuvre et les politiques se satisfont “d’avoir tordu le bras à la distribution”. Mais c’est oublier que” 80% du chiffre d’affaires négocié à date se fait d’abord et exclusivement avec de très grandes entreprises nationales ou internationales de l’agroalimentaire”, martèle le distributeur. Soit. Et pour les 20% restants, qu’est-ce qu’on fait? Pas si simple. Alors que l’Ania parle de “juste prix”, M.E.L. rappelle qu’il faut encore savoir si les hausses consenties aux fournisseurs seront bien répercutées aux éleveurs. En attendant, faute d’accord, les prix ne bougent pas en magasin, au grand dam des producteurs. Les éleveurs laitiers, par exemple, ont supporté 30€/1000 litres de coûts supplémentaires en 2012, selon la Fédération Nationale des Producteurs de Lait (FNPL). Pour obtenir une revalorisation du prix du lait, certains viennent à en passer aux mains, multipliant, depuis la rentrée de janvier, les opérations coup de poing contre les enseignes de la grande distribution.
Pas de quoi, toutefois, intimider la FCD qui, envers et contre tout, réaffirme son credo: “Touche pas à ma LME”. Avec un argument: la crise. Tension sur la consommation, baisse du pouvoir d’achat, fiscalité en hausse… Dans un tel contexte économique, deux priorités s’imposent: protéger l’emploi et préserver le pouvoir d’achat. Car si les cris d’alarmes des industriels ou la colère des producteurs continuent de ternir un peu plus l’image d’une profession mal-aimée du grand public, l’idée d’un “tous à la boucherie du quartier” reste une utopie. Seuls 14% des Français s’y rendent, selon Nielsen. Trop cher pour les budgets serrés. Et l’émotion passée, c’est la préoccupation du prix qui revient. Dans la réalité, 68% des Français achètent leur viande fraîche en GMS. Et si les achats se portent aujourd’hui davantage– mais pour combien de temps encore? – sur la volaille et les poissons, la vente de produits frais et surgelés en grande distribution garde encore de beaux jours devant elle… Jusqu’à la prochaine crise alimentaire.
Francis Luzin Directeur de la publication