Après 20 ans de direction marketing dans l’industrie agroalimentaire (Mars, Nestlé) et dans le retail (Intermarché, Jardiland, Nocibe, Krys, Conforama), Sylvaine Audrain est consultante senior en stratégie de marques (y compris MDD), en expérience clients et e-commerce, en communication multimédia et innovation chez Retail & Detail.
Quel est, selon vous, le principal irritant ?
Ce sont indéniablement les ruptures en linéaire qui se traduisent, aussi, par des non-disponibilités en drive. Ce que je trouve intéressant, c’est justement l’utilisation du drive pour lutter contre les ruptures. C’est souvent à l’occasion d’un picking en rayon que l’on s’aperçoit qu’un code ne fonctionne pas, qu’aucun produit n’est approvisionné. En interrogeant les gens de terrain, je me suis aperçue qu’il y a à peu près 2 commandes sur 3 où il y a un problème. Concrètement, il y a très souvent des problèmes de codification, de chaînage entre les produits en promotion et ceux de fond de rayon et le drive est un des moyens de les identifier. Le 2e aspect intéressant concerne le traitement des causes de ces ruptures. En particulier, comment améliore-t-on les prévisions de ventes, notamment lors de promotions, quand ce chaînage est manquant ? L’arrivée de solutions d’utilisation de la data et de l’intelligence artificielle devrait améliorer ces prévisions. Car, pour l’heure, les consommateurs en pâtissent, mais également les gens de terrain, qui subissent un impact quotidien en bout de chaîne. Ils sont souvent en sous-effectif, avec des difficultés de recrutement. On pourrait presque conclure que le bien-être au travail et la fidélisation du personnel en magasin passe, aussi, par une qualité d’exécution des services supports et de la centrale.
Comment assurer cette qualité d’exécution ?
Dans cette période de recherche accrue de rentabilité des enseignes, les tentations effectives de réduire les assortiments pour réduire les coûts sont nombreuses. Avec, derrière, toute la qualité des équipes de category management qui joue. Or, on a l’impression, parfois, que ces équipes comportent de plus en plus de profils junior qui oublient parfois quelques fondamentaux. Deux d’entre eux nous tiennent particulièrement à cœur : l’unité de besoin et l’indice de fidélité. Les équipes travaillent essentiellement avec un ranking de vente. Évidemment, c’est important. Mais c’est totalement insuffisant à l’heure où, en alimentaire, 95 % du CA est encarté. C’est quand même dommage de ne pas utiliser les bases de données clients pour mesurer les unités de besoin, qui ne sont peut-être pas dans le top 100 des ventes, mais qui vont générer une fidélité forte ! Et puis, l’unité de besoin, s’inscrit dans la logique de construction des assortiments pour que celle-ci puisse réconcilier la demande du client et une forme de rentabilité. Il faut donc remettre le category management au cœur des stratégies, afin de lui redonner toutes ses lettres de noblesse, et offrir de la variété aux clients les plus fidèles.
De bonnes pratiques venant du e-commerce ?
Oui… Au gré de mes missions, j’ai toujours constaté un vrai déficit de l’information produit en e-commerce alimentaire. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce qui se fait en non-alimentaire ? Avec une syndication, c’est-à-dire une mise en commun d’une information accessible, « en open source », à toutes les enseignes. On peut imaginer des comparateurs, des tutoriels, des façons de cuisiner un produit, des conseils de conservation et d’anti-gaspi, des explications sur les DLC et les DLUO, la traçabilité, l’origine, les producteurs, les avis clients qui existent très peu. Certaines enseignes commencent à s’y mettre, notamment en MDD, mais pas encore sur les produits de marque. On trouve bien des QR codes, mais qui restent limités à un produit, alors que le client attend des informations plus globales sur la marque.
Et les modes de paiement ?
Une petite anecdote pour commencer. Notre dernier alternant lors de son premier jour chez nous, descend chercher du poulet pour le déjeuner. Je le vois remonter illico, étonné : « je n’ai pas pris ma carte bancaire et je ne peux pas payer avec mon téléphone ». Quel que soit le point de vente, il devient impensable de ne pas pouvoir utiliser les mêmes modes de paiement partout. De même, les solutions de paiement à crédit, en différé, en plusieurs fois, sont d’autant plus importantes en période de crise du pouvoir d’achat. Aujourd’hui, les demandes de crédit ne concernent plus uniquement les gros investissements. On observe des demandes sur du petit électroménager, par exemple sur un fer à repasser à 75 €, où le client sera prêt à monter en gamme s’il peut payer en 3 fois. Ainsi, le crédit n’est plus uniquement réservé aux foyers les plus modestes, c’est un phénomène de société. Des plateformes comme Klarna ont de leur côté démocratisé une solution qui permet d’acheter maintenant et de payer plus tard, en général un mois. Soit une flexibilité plébiscitée par les plus jeunes. Une génération qui est, aussi, en attente de nouveaux usages face à la crise climatique : réparabilité des produits, abonnement, seconde main, réduction des déchets… avec, à la clé, la transformation d’un business avec un écosystème différent qui, demain, sera incontournable.