C’est une petite révolution qui vient bousculer la sphère retail. Pour la première fois depuis la création du mouvement, en 1949, Leclerc va s’implanter en centre-ville et offrir un service de livraison ou de drive piéton à ses clients parisiens. Les premiers “Leclerc chez moi” ouvriront à Paris (partie nord, dans un premier temps), le 26?mars prochain. Marchant dans les pas d’Amazon, l’enseigne montre que les distributeurs “traditionnels” en ont encore sous le pied. Un mois plus tôt, Casino venait accroître le périmètre géographique de ses livraisons à domicile et réduire leur délai pour ses enseignes Franprix, Monoprix et Cdiscount. Les grands du retail entrent dans la danse et surtout, à l’intérieur de nos maisons.
Car derrière le gain économique – comme le rappelle Michel-Edouard Leclerc au micro de France Info, “il est désormais moins cher de payer le dernier kilomètre qu’un fonds de commerce dans Paris” – c’est aussi la proximité que visent les enseignes. Là où Amazon, et les GAFA en général, excellent à connaître leurs clients, à leur adresser des offres pertinentes, personnalisées, quasiment sur mesure et à pénétrer, de cette façon, dans leur quotidien presque malgré eux, la grande distribution en est encore à éplucher les données des tickets de caisse. Un peu court pour s’immiscer dans l’intimité des consommateurs. Or, l’enjeu est imminent. L’arrivée sur le marché, certes précoce mais bien réelle, des assistants vocaux tels Alexa et Google Home oblige les acteurs français à avancer à marche forcée.
William Koeberlé, le président du Conseil du Commerce de France, l’a énoncé de façon très claire lors de la dixième édition des États généraux du commerce qui s’est déroulée le lundi 12?mars, à Bercy: ”les taxes foncières des commerces physiques sont discriminantes par rapport aux ventes par internet”. 1-0 pour les pure players, donc. Mais l’offensive des acteurs du web n’entraîne pas uniquement le déploiement de stratégies défensives de la part des retailers physiques: elle les conduit à repenser leur modèle. “Avec Leclerc chez vous, nous avons dû faire l’apprentissage de la logistique”, a indiqué Michel-Édouard Leclerc. Bonne nouvelle: si les enseignes acceptent d’apprendre de nouveaux métiers, de s’allier avec des start-ups natives de l’ère Internet (le partenariat Casino- Stuart, filiale de La Poste en est l’exemple) et de sortir du sacro-saint triptyque hypermarché-parking-chariots, c’est un premier pas vers l’avenir.
De plus, et contrairement aux e-commerçants, les distributeurs français possèdent une force inestimable: leur structure en réseau qui leur confère à la fois une force de frappe, via les centrales d’achat, et une capillarité, grâce aux magasins locaux, notamment franchisés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les réseaux de franchise sont les plus avancés et les plus dynamiques en matière de transformation numérique (voir notre enquête). Pour ces acteurs, l’essor du e-commerce n’est pas un danger mais, au contraire, une opportunité pour le commerce de proximité, grandes chaînes et indépendants confondus. Le développement de solutions de livraison à H+1 (jusqu’à 30 minutes pour Franprix), collaborative (grâce à des plateformes de livraisons prises en charge par des particuliers) est une aubaine pour les distributeurs. Le numérique n’a pas que des défauts. “Le phygital est une extraordinaire chance à saisir”, assure Chantal Zimmer, déléguée générale de la Fédération Française de la Franchise.
Pour preuve, le succès du click-and-collect auprès des consommateurs ne se dément pas. Les magasins de proximité deviennent des points relais qui s’inscrivent pleinement dans un parcours d’achat multicanal, du web au store. Bientôt, Amazon n’aura plus le monopole de la logistique puisque les points de ventes eux-mêmes deviendront des entrepôts urbains, rapprochant toujours plus l’offre du consommateur. Car ce n’est qu’en raccourcissant les circuits, les distances et le temps, que le commerce physique pourra faire sa place dans un monde de la consommation hyperconnecté. Il n’est pas encore arrivé le temps où Amazon saura ouvrir des boutiques dans lesquelles l’expérience client dépassera celle proposée par les enseignes traditionnelles depuis des siècles. Heureusement, cela laisse un peu d’avance à nos retailers pour se former – en logistique, statistique, informatique – et s’armer pour relever les nouveaux défis du web.