C’est ce qu’on appelle faire pschitt?! L’arrivée d’Amazon sur le marché de l’alimentaire, le 23?septembre dernier, n’a pas semblé ébranler le petit monde de la grande distribution. Après tout, ne s’agit-il pas, “simplement, d’un autre concurrent”, comme le déclarait, placide, Système U? Oui, mais quel concurrent… Le site marchand américain, qui compte pas moins de 300millions d’utilisateurs dans le monde (7millions en France) et affiche une croissance de 20% par an, n’en est pas à son coup d’essai. Avant la France, l’Allemagne et l’Italie ont déjà servi de marchés tests à l’offensive d’Amazon sur le food. Sans parler d’Amazon Fresh, axée sur les produits frais et locaux, que le site a initié dans plusieurs villes des États-Unis. Alors, certes, l’annonce a pu décevoir ceux qui attendaient une réplique de l’offre américaine. Pas de fruits provenant du primeur d’à côté, ni de sashimis fraîchement préparés par le restaurant japonais du coin: le nouveau service d’Amazon se cantonne aux rayons “Épicerie” et “Bières, vins et spiritueux”. En version bêta, qui plus est.
Les uns critiquent, les autres comparent. Ce n’est pas seulement 34?000 références mais plus de 100?000 que propose le site français, dont 91% appartiennent à sa market place, souligne le spécialiste de la grande consommation, Olivier Dauvers. Ce qui devait être l’atout fort du site, soucieux d’“avoir la sélection de produits la plus large possible et des prix bas pour toucher le plus grand nombre”, selon Yannick Migotto, le Monsieur catégorie biens de consommation d’Amazon.fr, révèle bien quelques failles. Des écarts de prix effarants entre la place de marché et la distribution traditionnelle sur des produits comparables – la boîte de Ferrero Rocher vendue 3,3 fois plus cher sur Amazon.fr qu’en hyper – et un sourcing international quelque peu déroutant. “Du Nutella from England, des capsules Nespresso made in Portugal… j’hallucine?!”, s’est écrié le Furet du retail, alias Jean-Marc Megnin, qui suppose que l’Américain, faute d’accords suffisants avec les industriels français, a dû se tourner vers des e-grossistes européens… On est loin de la vitrine Made in France vantée par le groupe, qui ferait la part belle aux PME et producteurs locaux.
Des erreurs au démarrage donc, mais difficile, pour autant, de balayer d’un revers de la main l’initiative du site. En réalité, celui-ci n’attend qu’une chose: les retours de ses clients pour affiner sa politique de pricing et son assortiment. Mettre en place un nouvel algorithme qui saura, très précisément, ce que le consommateur a l’habitude d’acheter de façon à ce qu’il n’ait même plus à penser à sa liste de courses. Ses packs d’eau et son fond de placard seront régulièrement renouvelés sans qu’il ait à se déplacer… La hantise de tous les hypermarchés. Prendre Amazon à la légère serait une erreur. Les marchands de jouets s’en souviennent. Qui voudraient commander l’ours en peluche du petit dernier sur une market place, ricanait-on, encore, il y a cinq ans. Aujourd’hui, le site s’est imposé comme une alternative sérieuse aux magasins physiques, volant, au passage, des parts de marché significatives.
Les distributeurs comptent sur la frilosité des Français à commander de l’alimentaire en ligne, la désillusion risque d’être grande. Les mutations vont vite, dans un monde hyper connecté où le smartphone devient le premier concurrent du chariot. Par flemme, par contrainte ou par choix, un certain nombre de consommateurs se laisseront tenter par cette possibilité de réduire la corvée des courses à un clic. Amazon le sait déjà. Officieusement, le groupe réfléchirait à fabriquer sa propre MDD alimentaire. Signe que les distributeurs français vont avoir affaire à un concurrent qui, cette fois, n’aura plus rien de virtuel.