Cela faisait longtemps qu’Amazon lorgnait le commerce physique. Le 16?juin dernier, le géant du e-commerce a franchi le pas en rachetant la chaîne de supermarchés bio américaine, Whole Foods, pour 13,7?milliards de dollars (12,2?milliards d’euros). La transaction devrait être finalisée d’ici à la fin de l’année. Une acquisition stratégique – la plus importante jamais réalisée par Jeff Bezos – qui pourrait rebattre les cartes de la distribution alimentaire en Europe. Selon Les Echos, des “deals” et “discussions” auraient déjà eu lieu avec des retailers européens.
Pourtant, les deux protagonistes, n’ont pas grand-chose en commun. Process, technologie, marché de masse et prix les plus bas possibles pour Amazon. De son côté, Whole Foods fait figure d’antithèse. Le distributeur texan, pionnier du bio, chantre du bien manger, des produits sains et locaux, s’est développé sur un marché de niche qui doit, désormais, composer avec une concurrence accrue. De fait, l’enseigne a dû, dès 2005, réduire sa voilure pour faire face à l’érosion de ses ventes et rester compétitif: baisse des prix, puis suppression de 1?500 emplois aux États-Unis.
Alors, pourquoi Whole Foods, un modèle atypique? L’on aurait pu imaginer qu’Amazon irait faire ses emplettes du côté de réseaux de convenience stores. Le géant de la distribution en ligne, brillant logisticien et champion de l’innovation en matière de services, aurait, alors, pu déployer davantage son savoir-faire en matière d’optimisation. Pour Cédric Ducrocq, PDG du groupe Dia-Mart, Amazon choisit “le retailer qui sublime le mieux la valeur ajoutée du magasin. Celui qui ne cherche pas à standardiser, qui fait passer le commerce avant le process, le local avant le global, les hommes avant le back-office, la sensorialité avant la praticité”. Le défi est immense, tant au niveau culturel qu’opérationnel. Amazon et Whole Foods vont devoir conjuguer leurs opposés complémentaires pour faire naître une nouvelle forme de commerce, une combinaison gagnante au-delà des clivages on et offline, en associant de manière harmonieuse local et global, sensorialité et process, technologie et fondamentaux du commerce. Cédric Ducrocq estime qu’en rachetant Whole Foods, Jeff Bezos affirme que “le retail de demain sera l’enfant métis d’une machine froide et d’un commerçant sensoriel”. La technologie étant là, non pour créer un commerce désincarné et automatisé, mais au service de la personnalisation et de l’hyper-local. Soit, “le mariage entre le meilleur logisticien du monde et le meilleur commerçant du monde, entre un front office hyper-valorisé et un back-office hyper-optimisé”, précise-t-il.
La vague de fond stratégique et servicielle poussée par Amazon, qui soulève les fondations du commerce et se propage inéluctablement, a déjà bousculé les distributeurs européens. Jusqu’ici de façon circonscrite à l’univers online. Là, le front se déplace, aussi, sur leur terrain de prédilection: le point de vente physique. Révélant une capacité d’innovation où Amazon se pose en bâtisseur d’un pont entre le réel et le virtuel, entre le commerce on et offline. Les distributeurs européens sont conscients des enjeux qui les attendent pour rester dans la course, imaginer et construire le commerce de demain. À l’image de la conférence “Innover pour le commerce”, co-organisée par Points de Vente, L’institut du Commerce, CA Com et BFM Business, qui s’est tenue le 14?juin dernier, où les débats fructueux entre distributeurs, start-up, e-commerçants et marques laissent présager un monde du retail en complète réinvention.