Il fut un temps où, à midi ou à minuit, on trouvait tout ce qu’on voulait sur les Champs-Élysées. C’est fini. En tout cas, désormais, plus question de dénicher du parfum ou de faire quelques courses alimentaires sur la plus belle avenue du monde après 21?h?00. Les décisions de justice s’enchaînent. Tout comme les batailles juridiques des syndicats contre le travail de nuit menées par l’intersyndicale du commerce Clic-P (CGT, CFDT, FO, SUD, CGC, Seci) particulièrement agressive en région parisienne. Leur arme? La loi de 2001 qui stipule que le recours au travail entre 21?h?00 et 6?h?00 du matin “doit être exceptionnel et justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique”. Et parmi ses récents trophées: la fermeture du magasin Sephora des Champs-Élysées, à 21?h?00, imposée par la cour d’appel de Paris, sous peine d’astreinte de 80?000?euros par infraction et par salarié. Idem pour Monoprix. En avril dernier, le Clic-P avait obtenu que l’accord sur le travail en soirée au sein de l’enseigne, signé en 2006, soit invalidé en appel. Pareil pour BHV Rivoli, Galeries Lafayette, Apple et Uniqlo qui doivent fermer leurs portes à 21?h?00. Et des procédures à l’encontre d’Abercrombie & Fitch et de Marionnaud sont en cours…
Mais ça ne s’arrête pas là. Suite à l’invalidation en appel de son accord d’entreprise, Monoprix met les bouchées doubles et parvient à négocier un nouvel accord sur le travail en soirée, signé par 3 syndicats, approuvé par le Comité central d’entreprise et par 81% des CHSCT des magasins fermant après 21?h?00. Au programme, selon l’enseigne: de nombreuses avancées sociales et salariales, notamment des majorations de 25 à 35% des salaires, des repos compensateurs supplémentaires, des mesures sur la mobilité des salariés concernés qui sont tous volontaires. Peine perdue: l’accord fait l’objet d’une opposition de la CGT le rendant inapplicable. 94 magasins de l’enseigne Monoprix devront fermer à 21?h?00 au lieu de 22?h?00. Idem pour celui des Champs-Élysées qui ouvrait ses portes jusqu’à minuit. Au final, l’emploi de 1?500 salariés est concerné.
Dans le même temps, le capharnaüm législatif du travail le dimanche refait parler de lui. Castorama et Leroy Merlin partent en croisade contre l’interdiction qui leur a été faite, par le tribunal de commerce de Bobigny, de fermer 15 de leurs magasins le dimanche en Ile-de-France. Cette fois, ce ne sont pas les syndicats qui ont poussé à la décision. Il faut dire qu’il s’agit d’abord de droit de la concurrence avant de relever du droit du travail. C’est Bricorama qui a obtenu, en justice, que ses rivaux subissent le même sort que lui. L’enseigne avait, elle, été condamnée à fermer ses 32 magasins d’Ile-de-France à la suite d’une plainte du syndicat FO, sans que ses concurrents, Leroy Merlin et Castorama, n’y soient contraints. Du coup, les voix des 3 enseignes de bricolage sonnent, désormais (presque) à l’unisson pour dénoncer cette interdiction soulevant, notamment, les incohérences des différentes lois, notamment la loi Maillé, accentuant les effets de concurrence déloyale. Que penser des dérogations de plein droit pour les magasins de meubles ou les enseignes de jardinerie qui, d’ailleurs, pour certaines, vendent les mêmes produits que les GSB?
Bref, le gouvernement s’est vite senti obligé de confier une mission à l’ancien patron de La Poste, Jean-Paul Bailly, entreprise très concernée par le travail le dimanche. Mais que font les services du ministère du Travail pour qu’il faille encore désigner un expert qui rendra son rapport dans deux mois? En attendant, les syndicats jouent contre l’emploi. Faire en sorte de protéger le dimanche afin qu’il ne devienne pas un jour travaillé comme les autres, sans compensations pour les salariés, est compréhensible. Protéger les employés qui ne seraient pas volontaires, aussi. En revanche, empêcher ceux qui le souhaitent de travailler – comme les étudiants qui ne le peuvent que ce jour-là -, semble archaïque. Les modes de vie ont changé. Comme le souligne Gérard Atlan, président du Conseil du Commerce de France (CDCF): “Il faut faire évoluer la loi et laisser aux entreprises le choix d’ouvrir lorsque les clients sont au rendez-vous.” De son côté, Sylvia Pinel, la ministre déléguée au Commerce, s’est déclarée favorable, dans le Journal du Dimanche – ça ne s’invente pas -, à une concertation avec les enseignes visées et à clarifier le millefeuille législatif aujourd’hui en vigueur.
Francis Luzin Directeur de la publication