C’est l’histoire d’un mariage. Inattendu, certes, mais pas incongru. Auchan, le champion nordiste des hypermarchés et Système U, le défenseur du commerce local, ont scellé un accord de coopération dans un contexte de compétitivité et de morosité économique ambiant. Massifier les achats quand trois géants de la distribution – Carrefour, Casino et Leclerc – se livrent une guerre des prix sans merci n’a rien de surprenant. C’est même la seule alternative qui reste à ceux qui ne veulent pas continuer à dégrader leur résultat opérationnel au nom de la guerre des prix mais, tout de même, conserver leur image-prix auprès des consommateurs. Or, pour s’allier, encore faut-il partager les mêmes valeurs, les mêmes perspectives, la même vision du métier… Sans quoi, c’est la rupture assurée.
Le passé de la distribution compte un certain nombre de divorces. Le projet LUCIE (L’Union des Coopérateurs Indépendants Européens), coopération à l’achat entre E. Leclerc et Système U, en 1999, destinée à accroître la capacité de négociation des deux enseignes, n’aura duré que quelques années. Comme aime à le rappeler Serge Papin, président de Système U, “avec Leclerc, on aura mis plus de temps à négocier l’accord qu’à faire vivre LUCIE”. Dès le début, les relations entre les deux groupes s’avéraient compliquées. Trop de divergences stratégiques, des identités fortes qui avaient du mal à s’accorder. Et il est rare qu’avec le temps, les différents se lissent. La séparation s’annonçait inéluctable. Réconciliation impossible, également, entre Cora et Casino, qui ont mis fin à leur partenariat en 2002 avec pertes et fracas (on parlait à l’époque, d’un manque à gagner supérieur à 100millions d’euros pour Casino).
Loin d’imaginer le même sort à “Système A”, les directions d’Auchan et de Système U préfèrent, aujourd’hui, mettre en avant ce qui les rapproche – une “proximité” dans les pratiques et dans l’esprit “familial” –, plutôt que ce qui les sépare: une structure centralisée pour Auchan et des magasins indépendants pour Système U. Mais pas de quoi inquiéter Thierry Desouches, directeur de la communication de Système U: ”Plus que les organisations juridiques des sociétés, en matière de commerce, ce qui compte le plus, c’est la façon d’envisager le métier qui est déterminante”. Longue vie à Eurauchan, alors, hyper centrale d’achat qui regroupe déjà les commandes d’Auchan, Simply Market et Schiever? Du côté des fournisseurs, on espère que l’alliance va faire long feu. Il faut dire qu’à trois semaines de l’ouverture des négociations commerciales 2015, l’annonce d’une nouvelle concentration –, après le récent rachat de Dia par Carrefour, a fait l’effet d’une bombe dans un secteur sous pression.
Quelles conséquences sur la nouvelle machine de guerre Eurochan va-t-elle avoir sur les prix? “En jouant sur les volumes, l’alliance Système U – Auchan risque d’intensifier la guerre des prix que nous subissons déjà”, alerte Jean-Philippe Girard, président de l’Ania. Une chose est sûre, les industriels vont devoir, dans l’urgence, revoir l’ensemble de leur stratégie commerciale et se préparer à des demandes de gros. De quoi muscler un peu plus des échanges particulièrement tendus depuis ces 18 derniers mois. Car à force de grignoter les marges, c’est bien le spectre de la déflation qui pointe avec, à la clé, des suppressions d’emplois. Notamment dans l’alimentaire, dont les prix ont reculé de 1,5% sur un an, selon l’Insee.
Difficile, dans ce cas, de rajouter de la tension à la tension. Et même si la coopération entre Auchan et Système U ne concerne que les marques nationales et internationales (exit, les MDD et les produits frais), sans un réel dialogue avec les fournisseurs ni création de chiffre d’affaires supplémentaire à la clé, la portée de cet accord sera limitée. Idem pour les nouveaux alliés qui soutiennent mordicus que la politique commerciale restera la prérogative des enseignes. Sauf qu’à un moment, centrale et enseignes devront bien communiquer pour mettre au point une stratégie d’achat cohérente et efficace, tout en respectant l’identité des deux marques. Un accord sur le papier, donc, qu’il faudra mettre à l’épreuve de la réalité du marché.