Des lunettes déremboursées, une mutuelle qui flambe et des soins médicaux moins bien pris en charge? C’est le prix à payer pour résorber la dette sociale, affirme la Cour des comptes. Estimée à 26,1 M€ en 2013 elle pourrait même atteindre les 98?milliards en 2018, sous l’effet du transfert à la Cades des déficits des régimes de retraites. De longues années d’efforts budgétaires en perspective. Et un nouveau coup de massue pour les ménages les plus modestes dont les dépenses contraintes – loyer, téléphone, assurances, eau et électricité – peuvent grimper jusqu’à 87%. Ceux-là ne perçoivent pas les récents sursauts haussiers de la croissance, comme l’annoncent les économistes financiers. Et redoutent d’ouvrir leur boîte aux lettres de peur d’y trouver leur avis d’imposition.
C’est à ces consommateurs, justement, que s’intéresse Michel-édouard Leclerc. En chevalier blanc du pouvoir d’achat, le patron des Centres Leclerc s’est logiquement emparé de la question des tests de grossesse. Se rangeant – une fois n’est pas coutume – du côté du gouvernement, favorable à la libéralisation d’un marché de 37 M€, aujourd’hui exclusivement détenu par les officines pharmaceutiques. “Une forme de rente économique” dénoncée par Benoît Hamon, ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire, et une injustice sociale, pour la ministre des Droits des Femmes, Najat Vallaud-Belkacem qui rappelle, sur son blog, que “toutes les femmes n’ont pas accès à ces dispositifs en raison de leurs coûts”. Leur front commun? Réduire le coût de ces tests en autorisant leur vente à la grande distribution et les rendre, de fait, plus accessibles.
Casser les monopoles pour vendre moins cher, au plus grand nombre, voilà un message fort démocratique, à l’heure où les inégalités sociales se creusent. À en croire l’économiste Thomas Piketty, la France d’aujourd’hui ressemble à celle du Père Goriot: mieux vaut hériter que travailler puisque la rente du capital rapporte, en net, près de 5% par an, quand la croissance économique ne dépasse pas les 1%. Quid des 90% de la population qui ne fait pas partie de ces 10% les plus riches? Et bien, comme tout le monde, ils mangent, s’habillent, font les courses de rentrée pour les enfants et leurs achats à Noël… En bref, ils consomment. Un peu moins et un peu moins cher: les distributeurs l’ont compris, en se battant à coup de comparateurs de prix.
Mais il y a un hic. Proposer le moins cher a un coût. Et tirer les prix des fournisseurs vers le bas, un arrière-goût de casse sociale. Au printemps dernier, c’est aux forceps que le gouvernement avait obtenu de Leclerc et Carrefour qu’ils revalorisent le prix du lait à 34 centimes le litre, pour sauver une filière en péril. Et déjà, les industriels redoutent les nouvelles négociations tarifaires qui débuteront en octobre prochain. La face cachée – et pas la moins sombre – de cette course aux prix bas, si chère à nos enseignes, c’est aussi cette aptitude à massifier les volumes pour minimiser les coûts, en passant par des centrales d’achat européennes. C’est notamment le cas des indépendants Leclerc, Système U et Intermarché, quand Carrefour et Casino disposent de leur propre structure internationale.
À première vue, quoi de plus normal? Qui pourrait, en effet, dans une économie de marché, reprocher à une entreprise de s’allier avec des partenaires européens pour profiter des effets de volumes? On gagne de la marge, on baisse les prix et tout le monde est content. Oui mais. Quand ces plateformes deviennent des outils d’optimisation fiscale, comme le suggère le sénateur UDI Jean Arthuis, le discours égalitaire en prend un coup. Idem quand le champion du web, Amazon, échappe à la TVA et creuse le manque à gagner de 30 M€ de recettes par an pour l’État. Car si, d’un côté, on se vante de proposer des prix bas ou de porter haut les couleurs du made in France, tandis que de l’autre, on ne participe pas à l’effort de désendettement qui s’accroît – la dette publique devrait atteindre 95,1% du PIB fin 2014- alors, on contribue à alourdir la note fiscale des Français. Et à grever, indirectement, leur budget consommation. Libéraliser le marché sans déshabiller le fisc, c’est, aussi, une façon de soutenir le pouvoir d’achat.