Les industriels montent au créneau

Trois c’est trop. La fin de l’année 2014 a été placée sous le signe des alliances dans la distribution alimentaire. D’abord Système U et Auchan (Système A) en septembre, Intermarché et Casino (INCAA) en novembre puis Carrefour et Cora (Provera) en décembre. Trois annonces, coup sur coup, qui ont fait monter d’un cran la pression chez les industriels, au beau milieu des négociations annuelles. Difficile, également, pour le gouvernement de fermer les yeux. Le ministère de L’économie et la Commission des affaires économiques du Sénat ont donc saisi l’Autorité de la Concurrence pour avis sur la question de l’impact concurrentiel de ces récents rapprochements de centrales d’achat et de référencement sur le secteur. “Les rapprochements successifs des centrales d’achat ont créé une nouvelle tension sur les prix lors des dernières négociations. Quatre grands acteurs se partagent désormais 93% du marché. Cela renforce le déséquilibre entre les enseignes et leurs fournisseurs”, déclare Jean-Philippe Girard, président de l’Ania. En mars dernier, Richard Girardot, le patron de Nestlé, avait lui aussi dénoncé dans la presse les pratiques agressives des distributeurs et s’interrogeait sur le rôle de la DGCCRF. “On sent bien qu’il y a un gros ras-le-bol des fournisseurs et en l’occurrence des grands industriels qui ont souhaité dénoncer des comportements qui s’inscrivent en marge de l’application des textes”, souligne Jean-Christophe Grall, fondateur et associé du cabinet Grall & Associé. Inutile de dire combien l’avis de l’Autorité de la Concurrence était attendu.Quid de la dépendance économique?Rendu public le 1er?avril 2015, ce texte analyse très précisément la nature de ces trois alliances (contractuelle pour Système A, structurelle pour INCAA et par simple adhésion pour Carrefour-Provera), sous le prisme du droit de la concurrence. Dans le premier cas, “si l’alliance contractuelle entre Système U, Auchan et leurs fournisseurs respectifs paraît avoir les faveurs de l’Autorité, celle-ci s’interroge cependant sur la réelle étanchéité entre les deux entités une fois dans le box des négociations”, observe Jean-Christophe Grall. À l’inverse, la structure juridique d’INCAA peut apparaître comme étant plus sécurisante au regard du droit de la concurrence puisqu’il s’agit de structures différentes des deux sociétés mères Casino et Intermarché. Cependant, celle-ci négocie la totalité des contreparties qui vont être données par les deux distributeurs aux fournisseurs, ce qui comporte, aux yeux de l’Autorité, un risque plus fort de débordements que dans le cas du triple net. Quant au rapprochement Carrefour-Provera, il ne semble pas présenter de grosses problématiques juridiques. “D’une façon générale, l’Autorité de la Concurrence déclare qu’à partir du moment où il y a un regroupement à l’achat et que ce regroupement a pour objectif de négocier un meilleur triple net que celui de l’année précédente faut-il encore qu’il y ait des contreparties qui soient apportées par le ou les distributeurs aux fournisseurs”, ajoute l’avocat. S’il est légitime, selon ce dernier, que les fournisseurs et les pouvoirs publics s’interrogent sur le respect envers la règle de concurrence de ces trois alliances, l’avis de l’Autorité de la Concurrence laisse, néanmoins, un peu sur sa faim. Notamment sur la question de la dépendance économique où elle se contente de rappeler les pratiques décisionnelles. Et de mentionner de surcroît qu’il existe déjà, dans le cadre de la loi Macron, des outils législatifs tels que l’obligation de notifier à l’Autorité de la Concurrence tout regroupement à l’achat préalablement à sa réalisation ou encore, l’injonction structurelle.En l’état, l’avis de l’Autorité de la Concurrence semble toutefois contenter l’Ania. “Cet avis de 90 pages évoque les abus de dépendance économique liés au niveau inédit de concentration des centrales et explique que les pratiques actuelles de la distribution pèsent directement sur la capacité d’investissement et d’innovation de nos entreprises, sur la diversité de l’offre, voire peuvent menacer la qualité des produits” affirme son président qui attend des distributeurs qu’ils “s’autosaisissent rapidement”. Les concentrations vont continuerUn sursaut sur lequel ne compte pas vraiment Yves Marin, senior manager chez Kurt Salmon. Ce dernier table plutôt sur une poursuite de la concentration sur le marché de la distribution. “Comparé au degré de concentration des distributeurs dans d’autres pays de l’Union européenne, la France est loin d’être la plus avancée en la matière. Longtemps gelé, tant par la réglementation sur l’urbanisme commercial que par la consommation de crise, le marché français n’a pas connu de nouveaux entrants ni de concentrations depuis des années”, constate-t-il. Cette situation artificielle de statu quo du nombre d’acteurs offre une marge de progression dans la concentration en France… Les industriels vont devoir s’y faire. “Les négociations de 2015 ont été très violentes car elles se sont faites dans l’urgence. Couche après couche, trois fois de suite, les directeurs commerciaux ont dû revoir leur copie et une fois qu’ils ont eu préparé leur politique commerciale ils ont dû apprendre en marchant les nouvelles règles de ces entités face à des négociateurs aussi novices qu’eux, et ce, avec un facteur de risque de déréférencement plus fort”, ajoute Yves Marin. L’objectif est aujourd’hui d’anticiper au mieux des négociations 2016 qui s’annoncent très transactionnelles et conflictuelles. Et, pourquoi pas, pour les industriels, de changer leurs modes de fonctionnement en osant désinvestir certains points de vente pour se concentrer sur une gestion des marques plus fine et étudier d’autres canaux de distribution.

Les industriels montent au créneau

Alliances à l’achat