Pouvoir d’achat. Cette notion économique qui mesure la capacité d’un individu à consommer grâce à son revenu disponible, est, depuis quatre mois, sur toutes les bouches. Comment l’augmenter, se battre pour le conserver: malgré les signaux faibles d’une certaine déconsommation (en septembre2018, IRI annonçait, pour le premier semestre, “une baisse des volumes d’un niveau jamais atteint en cinq ans”), la majorité des Français conservent l’envie de dépenser leur argent comme bon leur semble. Or, beaucoup ne le peuvent pas, nous rappelle le mouvement des Gilets jaunes. On se demande, dans ce contexte, comment sera perçue, dans la durée, la hausse des prix alimentaires instaurée par la loi Alimentation (EGalim) depuis le 1er?février dernier.
Une vingtaine de grandes marques (mais pas que) sont concernées. Celles, en tout cas, que les consommateurs plébiscitent dans leur chariot. Comment vivront-ils cette nouvelle attaque contre leur porte-monnaie? Pour l’heure, peu de réactions de ce côté. Excepté le buzz créé par un adhérent E.Leclerc sur Facebook au sujet de la majoration du prix du Ricard, on ne peut pas dire que le budget courses ait été le nouveau combat des manifestants du samedi ces dernières semaines. Et pour cause. Sitôt la loi actée, en décembre dernier, les enseignes ont organisé leur parade. Le législateur impose des hausses de prix jusqu’à 10% sur l’alimentaire? Très bien, nous ferons des super-promo sur le non-alimentaire. La loi Alimentation relève le seuil de SRP de 10%? Parfait?! Nous rendrons le manque à gagner à nos clients sous forme de cash-back ou de cagnottage. 1 contre 1 partout, match nul.
Sauf pour les agriculteurs. N’oublions pas, c’est tout de même pour eux que la fameuse loi EGalim est née, fruit de débats vertueux et de bonnes intentions partagées sur la volonté de revaloriser les salaires des petits producteurs. Si l’intention est louable, la mise en œuvre de la solution est pour le moins complexe. Si ce n’est tordue. Quand la théorie du ruissellement s’invite dans la grande distribution, cela donne des hausses de prix en rayons qui devraient profiter aux producteurs de lait. Oui, mais personne ne joue le jeu. Les enseignes ne veulent pas perdre leur sacro-sainte image-prix, quitte à sacrifier leurs marges. Quant à la filière agroalimentaire, elle est si longue et ponctuée d’intermédiaires qu’en agissant sur l’aval, on n’est pas sûr d’atteindre l’amont un jour.
Que faire, alors? Attendre. Les négociations commerciales, elles, sont en cours et la loi Alimentation est loin d’avoir apaisé le climat dans les box. Les PME doivent toujours enfoncer les portes, les acheteurs manier le bâton ou la carotte, selon qu’ils aient affaire à un petit faiseur ou à un gros fabricant. Seules évoluent, progressivement, les mentalités. On parle de la nouvelle intelligence de la fonction Achats où les discussions ne tourneraient plus exclusivement autour du prix mais, enfin, de la valeur. Sans doute est-ce de ces métiers intermédiaires, quoique rouages essentiels de la chaîne entière, que viendra le changement. Et puis, il y a aussi le digital qui rebat les cartes et permet aux PME d’être plus visibles. De nouveaux usages qui laissent imaginer que demain, peut-être, on paiera la valeur au juste prix. Quitte à ce qu’il nous en coûte un peu plus cher.