En plein débat sur la Loi Alimentation, un nouvel avenir de la filière agroalimentaire semble se dessiner: producteurs et distributeurs négocieraient de façon plus équitable, sur un marché plus encadré, où les prix seraient ajustés aux coûts de production. Une loi qui, en apparence, répondrait donc aux revendications formulées par les acteurs de la filière amont depuis des années. En apparence? Oui, car comme toujours dans la justice, il y a la loi et l’esprit de la loi. Observons un peu ce texte. Les quelque 2?627 amendements déposés, actuellement discutés par les parlementaires, visent à rééquilibrer les relations commerciales. Autrement dit, à redonner du pouvoir aux producteurs face aux groupes de la grande distribution. Intention louable, s’il en faut. Toutefois, les procédés fâchent.
En ligne de mire: le relèvement annoncé du seuil de revente à perte qui obligerait les distributeurs à vendre au moins 10% plus cher les produits alimentaires qu’ils ont achetés. Michel-Edouard Leclerc s’en offusque, dénonçant, sur son blog, “une OPA de quelques distributeurs et industriels pour pouvoir faire passer des hausses de prix qui n’ont rien à voir avec le sujet”, (parmi eux, il cite Serge Papin de Système U, Richard Girardot chez Nestlé, Jean-Philippe Girard de l’Ania). Pour argument, il s’appuie sur les calculs de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir qui chiffre la ponction sur le pouvoir d’achat des Français entre 1,74 et 4,98?milliards d’euros en deux ans… un “choc inflationniste” dont les consommateurs se seraient bien passés. Surtout, ce qu’il met en cause, c’est cette “théorie du ruissellement” qui devrait profiter aux agriculteurs. Rien n’est moins sûr, à en croire Monsieur Leclerc, puisque, selon lui, 70% des produits concernés contiennent peu de matières agricoles…
On peut comprendre l’énervement des distributeurs. Car, en plus de brider les opérations promotionnelles massives en remplaçant la logique du “1 acheté, 1 gratuit” par “2 achetés, 1 gratuit”, la future loi promet de mettre un terme à la guerre des prix qui assèche le marché depuis 5 ans… Et dont E. Leclerc est la tête de proue. Fin de la récréation pour les enseignes positionnées sur l’argument prix à tout prix? Assurément. “Les acteurs qui ont développé des parts de marché en revendiquant des politiques promotionnelles d’envergure vont perdre en marge de manœuvre”, indique l’avocate Julie Catala Marty. Perdant ainsi leur bâton de maréchal, les champions des promos vont devoir se plier aux nouvelles lois du marché et partager (un peu) de leur gâteau avec les producteurs. De quoi mettre de mauvaise humeur les habitués du marché qui, depuis la suppression de la loi Galland, manœuvraient sans entrave négociations commerciales musclées et politique tarifaire agressive.
Ces derniers peuvent encore se rassurer. Leur centrale d’achat reste le dernier rempart à tout retournement en profondeur de l’équilibre des forces entre fournisseurs et acheteurs. En effet, nulle trace dans la Loi Alimentation d’un amendement portant sur les importants regroupements de centrales d’achat de distributeurs qui ont eu lieu récemment. Or, devant ces concentrations, on peine à croire que la voix des PME et des petits producteurs puisse peser. Si David a bien réussi à abattre Goliath d’un lancer de fronde, il n’est pas évident que la Loi Alimentation offre les armes suffisantes pour redonner un vrai champ d’action aux acteurs de la filière amont.