“On est mal, patron”, tel est le gimmick qui rythme la campagne publicitaire de Lidl. La plaisanterie ne fait pas beaucoup rire les distributeurs. Au point que Carrefour et Intermarché ont assigné l’ex hard-discounter en justice pour publicité mensongère. Une attaque inattendue sur un secteur d’habitude peu enclin à solliciter les tribunaux, mais révélatrice du malaise qui touche la grande distribution alimentaire. Jusqu’alors, chacun jouait sa partie, dans un rôle bien défini. Leclerc, l’héritier haut en couleur, adepte de la publicité comparative. Carrefour, le chantre de la décentralisation. Casino l’initiateur de la guerre des prix et le champion de la proximité. Auchan, l’empire du Nord et des hypermarchés à grande échelle. Intermarché et son statut atypique de producteur-distributeur. Et enfin, Système U, l’outsider franc-tireur qui a fait de la MDD un art de vivre. OK.
Tout ce beau monde avait sa place sur un marché ultra-concentré, croisait le fer sur les prix, multipliait les déclarations d’intention à l’encontre des producteurs et des PME, en n’oubliant pas de se lancer, au passage, quelques piques, sans jamais vraiment se gêner. Car tous avaient une belle part du gâteau à manger. C’était sans compter l’arrivée d’un petit nouveau que personne n’a vu venir: Lidl. Il les a mis K.-O. D’abord noyé dans la vague du hard-discount, confondu avec les Aldi, ED et autres Dia, Lidl n’aura pas connu le même destin que ses concurrents. Depuis 2012, l’enseigne allemande affirme haut et fort son repositionnement. Vante la qualité de ses produits, leur origine, leur montée en gamme et grignote, ainsi, du terrain aux six poids lourds de la distribution traditionnelle.
Plus que ses prises de paroles, c’est bien ses parts de marché que reprochent Carrefour et Intermarché à Lidl. Sans crier gare, l’enseigne est venue s’imposer dans le paysage de la distribution française et à force de jouer des coudes, s’est fait une place de choix sur le marché. Pire, elle s’est construit une identité. À grands coups de communication, Lidl a imposé son style et son image dans l’esprit des consommateurs. Depuis quatre ans, elle décroche le titre de la Meilleure Chaîne de Magasins, y compris dans la catégorie meilleure chaîne produits frais en 2015. Un comble pour ses rivaux, battus à domicile. Excédé, Carrefour entend d’ailleurs bien la déchoir de ses titres en mettant en cause la légitimité de ce concours importé des Pays-Bas. Décidément, l’arme juridique a la cote chez les distributeurs. À défaut d’arguments commerciaux?
La judiciarisation des relations entre les enseignes révèle une chose: après des années de bataille acharnée sur le prix, de négociations commerciales de plus en plus tendues – Serge Papin, sur le plateau de BFM Business, évoquait “une fin de cycle” –, le modèle de la grande distribution semble à bout de souffle. Une nécessaire redistribution des cartes s’impose, alors que le e-commerce explose, même dans l’alimentaire, et que les modes de consommation (achats directs, proximité, travel retail…) se diversifient et évoluent. Oui, Messieurs, la fête est finie. Il va falloir se remettre à travailler. L’offre, l’assortiment, le mix, le service, l’accueil, les rotations, les stocks. Bref, redevenir de vrais commerçants et plus seulement des revendeurs, si vous ne voulez pas qu’un autre Lidl vienne vous voler la vedette, ainsi que vos recettes.