La parole à Christophe Benavent, économiste, professeur à l’Université Paris Ouest

A l’occasion des journées annuelles du commerce, vous allez parler hybridation du commerce. De quoi s’agit-il? Christophe Benavent. De nouveaux acteurs apparaissent, comme une couche supplémentaire pour coordonner l’ensemble d’un secteur d’activité. Aujourd’hui, nous sommes dans le royaume des marketplaces, Amazon et Alibaba en sont les rois. Ces plateformes font entrer beaucoup de vendeurs sur le marché. Il ne faut pas oublier que si Amazon compte 300millions de clients, elle représente aussi 2 à 3millions de vendeurs. Cela change la donne du commerce. L’impact le plus important des marketplaces se fait sur la variété de l’offre. Le nombre de références sur ce canal explose par rapport à la grande distribution. Le plus grand hypermarché ne propose pas plus de 60?000 références contre 7millions pour Amazon?! Les distributeurs français ont-ils raison d’avoir peur d’Amazon?Il faut raison garder. Le commerce physique est une source d’inertie et le e-commerce reste, somme toute, encore marginal, ne captant que 5 à 10% des ventes en grande distribution. Le drive, de la même façon, plafonne à 10-12%. Il n’y a clairement pas de remplacement total du commerce physique par le e-commerce mais ce dernier exerce clairement une pression sur les retailers. Le plus spectaculaire aujourd’hui, c’est quand Ikea réfléchit au projet de vendre ses produits par le biais d’Amazon. La marketplace devient un canal de vente à part entière et commence à concentrer des minorités substantielles. Cette plateformisation encourage l’hybridation du commerce.Comment répondre à cette pression concurrentielle?En réagissant?! Les distributeurs ont abandonné à Amazon le principe de la longue traîne destinée à répondre à des besoins de niche. Or, c’est la diversité des produits qui fait l’attractivité d’un point de vente. Enfermés dans leurs schémas traditionnels qu’ils n’ont eu de cesse de chercher à optimiser, les retailers physiques n’ont pas pris la mesure de ce qu’il était en train de se passer sur Internet. Personne ne pensait, il y a encore cinq ans, que les plateformes occuperaient une telle place sur le marché. Toutefois, les distributeurs peuvent tirer parti de ce nouveau canal de distribution en complétant leur modèle de distribution physique.Quels business modèles pour ces plateformes?Ils sont différents selon les acteurs. Amazon se rémunère via un prélèvement sur les transactions, quand Alibaba tire profit des services publicitaires proposés aux vendeurs et aux acheteurs. En réalité, la vraie différence ne se joue pas entre le commerce physique et le digital mais entre la marketplace et le commerçant. Le métier de commerçant consiste à acheter des marchandises, les stocker puis les vendre. Toute la croissance de la distribution française a été construite sur ce modèle où le retailer devait disposer d’une trésorerie pour financer son business. La marketplace, à l’inverse, ne s’engage pas financièrement. Elle cultive juste l’accès des acheteurs et des vendeurs à sa plateforme. Ce sont donc deux métiers différents qui se font concurrence puisqu’ils adressent le même besoin. Si les marketplaces sont l’enjeu retail de demain, que va devenir le commerce physique?Les distributeurs vont devoir adapter une démarche sans couture entre les différents canaux. En ce qui concerne les points de vente, on observe déjà une réorientation des formats de la grande distribution. Entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, leur cœur balance. Aux côtés des magasins de proximité qui se développent dans les villes, on continue à voir se former des projets de méga centre commercial, à l’image d’Europa City, par Auchan. Si les premiers ont l’avantage de présenter un format interstitiel qui trouve sa place entre le e-commerce et l’hypermarché, les seconds ont pour objectif de fidéliser la clientèle. Pour inciter les consommateurs ainsi à venir de très loin, ils se lancent dans le retailtainment et proposent des attractions qui ne se résument pas au commerce. Car c’est bien l’expérience qui donne au magasin sa valeur ajoutée sur le e-commerce.

La parole à Christophe Benavent, économiste, professeur à l’Université Paris Ouest

Journées Annuelles - Institut du Commerce