Prendre le train en marche. Ne pas rater le virage de la modernité: c’est l’obsession de tous les distributeurs. À peine viennent de s’achever les grands-messes américaines du high-tech et du retail – le CES à Las Vegas et la NRF à New York – que, déjà, débarquent sur le sol français les joujoux technologiques qui révolutionneront un commerce traditionnel en pleine mue digitale. Enfin, en théorie. Car si la promesse d’un nouveau monde de la distribution où canaux physique et virtuel se confondraient est bien là, la question de la rentabilité du e-commerce demeure. Avec 36% de sites français qui ne gagnent pas d’argent, il s’agit moins d’imaginer le magasin de demain que de le mettre en pratique. Et d’en tirer des bénéfices. “Les Français sont très bons pour trouver et proposer des idées, un peu moins pour faire du business”, déclarait Denis Jacquet, le fondateur de l’association “Parrainer la croissance”. En clair: tout ce qui est nouveau n’est pas or.
Plonger dans le bain technologique sans avoir défini, en amont, une véritable stratégie d’entreprise, c’est risquer de faire pschitt. Et surtout, d’y perdre des plumes. Logiciels métiers, Big Data, équipements du point de vente: le rêve connecté a un coût. Et quand bien même la potentielle monétisation des données clients et la vente d’espaces publicitaires pourraient se révéler génératrices de revenus additionnels, dans un contexte économique tendu, les paris coûteux sur l’avenir restent risqués. Difficile, pour les enseignes, de penser sur le long terme quand le marché est contraint à une maîtrise des dépenses au jour le jour. Ce qui explique, en partie, le retard de la grande distribution française sur leurs consœurs américaines, en matière de web marketing… Mais qui leur évite, aussi, certains déboires: le piratage d’au moins 110millions de comptes clients du géant de la distribution Target a sérieusement ébranlé l’enseigne qui était déjà dans le rouge. Imaginons qu’en France un tel scandale frappe un Carrefour ou un Leclerc et c’est toute une relation de confiance avec le client qui s’écroule.
Frilosité ou maturité? Devant la grande inconnue du commerce 3.0, les entrepreneurs français ont donc choisi de prendre leur temps. Et pour répondre aux nouvelles attentes de consommateurs de plus en plus volages et technophiles, mais de moins en moins dupes du bluff marketing et autres vraies fausses innovations qui inondent les rayons des grandes surfaces, la plupart ont reconsidéré leur politique d’innovation. “Les industriels se sont recentrés pour redonner une vraie place à l’innovation, de façon plus réfléchie et stratégique qu’avant”, constate Xavier Terlet, président d’XTC Innovation. Innover moins pour innover mieux? Une chose est sûre: la crise de 2008 a changé la donne et gelé, pour un temps, les investissements.
Un coup d’arrêt qui, heureusement, n’a pas duré. En 2011, 28,5 Mds€ de dépenses ont été consacrées à la R&D, tous secteurs confondus. Dans une économie mondialisée où, pour exister, il faut se démarquer et rester compétitif, les acteurs nationaux ont compris qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de continuer à innover. En agroalimentaire, c’est même une question de survie. Car rester sur un segment bas de gamme et privilégier la quantité à la qualité sont autant de choix qui ont plombé des entreprises comme Doux ou Gad. Tandis que pour d’autres, à l’inverse, l’audace a payé. L’initiative d’Hénaff, qui vient de mettre au point, dans le cadre du programme “Special Event Meal”, des plats appertisés destinés à la Station Spatiale Internationale (ISS), en est l’exemple. Et le signe que, sur le terrain de l’innovation, l’industrie française est, elle aussi, capable de faire un grand saut dans les étoiles.