Enfin le dénouement !

Par une décision du 13?juillet 2018, la Cour d’appel de Paris, appelée à se prononcer sur la licéité du réseau de distribution sélective de Caudalie, met un terme aux hésitations jurisprudentielles relatives au statut des plateformes tierces. La possibilité de restreindre la vente sur internet, tant pour les pure players que les plateformes tierces, dans le cadre d’un réseau de distribution sélective demeurait incertaine depuis une décision Pierre Fabre de la Cour de cassation qui énonçait que la protection de l’image de prestige des produits ne justifiait pas l’interdiction faite aux distributeurs d’une société de produits cosmétiques de vendre ses produits par internet.Concernant le recours aux plateformes tierces, la question a été tranchée par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Dans une décision Coty (CJUE 1ère chambre, 6 décembre 2017, Coty Germany), la Cour valide l’interdiction faite aux membres d’un réseau de distribution sélective d’avoir recours pour leurs ventes de produits de luxe à des plateformes tierces, sous réserve du respect de certains critères de licéité (exposés ci-après). La décision commentée fait application de la jurisprudence Coty, dans une affaire concernant le réseau de distribution de la société Caudalie. Cette dernière fabrique des cosmétiques haut de gamme, qu’elle distribue par l’intermédiaire d’un réseau de distribution sélective, constitué notamment de pharmaciens. La société Caudalie exige de ses distributeurs qu’ils disposent d’un point de vente physique, tout en leur laissant la possibilité de distribuer ses produits sur leur propre site internet.La société Caudalie a constaté en 2013 que ses produits étaient distribués sur le site 1001pharmacies.com. En réaction, et afin de protéger l’étanchéité de son réseau de distribution, elle a initié une procédure de référé afin de faire cesser la commercialisation de ses produits sur cette plateforme tierce non agréée, se fondant sur le trouble manifestement illicite.Sur renvoi après cassation, la Cour d’appel de Paris devait se prononcer sur la licéité du réseau de distribution sélective de Caudalie, afin de déterminer si la revente de ses produits par une plateforme tierce caractérisait un tel trouble.Elle devait pour cela “vérifier si l’interdiction faite par la société Caudalie aux pharmaciens de son réseau de distribution sélective” est “appropriée pour préserver l’image de luxe de ces produits et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif”. La licéité du réseau de distribution sélective de CaudaliePour justifier la licéité du réseau de distribution sélective de la société Caudalie, la Cour d’appel de Paris applique les critères de licéité énoncés dans la jurisprudence Coty: » La sélection des distributeurs par la tête de réseau s’effectue selon des critères objectifs et qualitatifs, fixés de manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels;» Ces critères sont appliqués de manière non discriminatoire; » Les critères définis ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire à la protection de l’image de luxe des produits distribués.Appliquant chacun de ces critères, la Cour d’appel de Paris retient la licéité du réseau de distribution sélective, soulignant que “les produits de la marque Caudalie correspondent à des produits de luxe”.L’éviction des plateformes tierces des réseaux de distribution sélectiveLa Cour d’appel de Paris exerce ensuite un contrôle de proportionnalité afin de vérifier si l’interdiction faite par Caudalie aux pharmaciens de son réseau de recourir à des plateformes tierces n’allait pas au-delà de ce qui est nécessaire pour la préservation de son image. Elle constate que les produits Caudalie étaient notamment présentés à côté d’alarmes-incendie et en conclut que “les conditions de présentation sont de nature à porter atteinte à l’image de luxe que la société Caudalie peut légitimement vouloir protéger.” Elle ajoute notamment que la validité des clauses interdisant la vente via des plateformes tierces dans les contrats de distribution sélective ne saurait être cantonnée aux produits de luxe. La Cour d’appel de Paris ne se prononce toutefois pas sur les contours de la notion de “luxe” et l’on ne peut que regretter l’absence de définition précise de la notion de luxe tant par les juridictions européennes que françaises. Il reviendra donc aux tribunaux de les définir, au regard notamment de la rareté des produits, de leur technicité, de la mise en œuvre d’un savoir-faire, ou encore de l’image véhiculée par la marque. La jurisprudence, par la décision Caudalie, semble toutefois s’orienter vers une acceptation large du luxe, intégrant notamment les produits de parapharmacie. Plus généralement, la licéité de l’interdiction de vente sur des plateformes tierces excède clairement le champ du luxe. Rappel des faits La marque française de produits de beauté, Caudalie, a vu ses produits mis en vente sur une marketplace spécialisée dans la vente en ligne de produits de parapharmacie et de pharmacie, 1001 pharmacies.com, qui propose une très large gamme de produits et de marques. Problème: Caudalie possédait déjà son propre réseau de distribution sélective qui interdisait à ses distributeurs agréés (pharmacies et parapharmacies ayant un magasin et un site internet) de revendre ses produits sur une marketplace. C’est dans ce contexte qu’un long et mouvementé épisode judiciaire a commencé en décembre2014. Afin de voir interdire la vente de ses produits sur 1001 pharmacies.com, Caudalie a assigné en référé la société eNova Santé, propriétaire, gestionnaire et éditeur de ladite marketplace.

Affaire Caudalie