Alors que les queues d’automobilistes s’allongeaient devant des stations-service privées d’essence, la faute aux grèves contre la Loi Travail, la France a semblé, d’un seul coup, ralentir. Comme si la frénésie de nos vies actives, de l’économie, de cette vie moderne organisée autour des transports, du travail, des biens de consommation et du commerce s’interrompait tout à coup. Et si la société de consommation, à l’image de nos voitures, tombait en panne sèche? Le désir d’acheter pourrait-il un jour se tarir? Pour l’économiste Philippe Moati, ce dont nous souffrons le plus n’est pas de l’excès de désir mais, au contraire, du manque d’envie. Devant l’hyperchoix des hypermarchés, les consommateurs ressentent un vague sentiment de nausée.
L’on comprend mieux, alors, le succès fou des formats de proximité. Le retour en force du petit commerçant. Pour présenter son nouveau concept d’hypermarché Géant, le groupe Casino met en avant l’argument de magasins “à taille humaine”. Plus chaleureux, plus adaptés au parcours client. On y trouve même des “espaces marchés”. Comme si l’on pouvait transposer la place du marché et tout le lien social que cet événement récurrent implique, sur la surface de vente. Dans une société morcelée, tourmentée, tiraillée entre individualisme et communautarisme, le besoin de vivre des choses ensemble devient de plus en plus pressant. Briser le carcan de la consommation privée pour s’intéresser, une seconde, au collectif. La consommation collaborative promettait, dans ce sens, un changement de braquet dans nos habitudes d’achat, référant l’usage à la propriété. Mais bien vite, l’idée s’est faite engloutir par le système marchand et a donné naissance à un nouveau capitalisme: l’économie uberisée.
Bouleverser sa façon de vivre est un long et difficile combat. D’incontournables facteurs, comme la protection de l’environnement, le réchauffement climatique ou le gaspillage alimentaire vont, toutefois, nous obliger à revoir notre copie de consommateur, commerçant et fabricant. Tous dans le même bateau. Mais sans essence et sans eau, nous n’irons pas loin. Pour relancer la machine à acheter, et donc, à produire, il va falloir réapprendre à rêver. Les centres commerciaux s’y essaient. L’expérience d’achat est la nouvelle marotte des directeurs marketing. Quid de l’expérience de consommation? Y a-t-il une vie après l’acte d’achat? Définitivement oui. Il serait temps que les marques et les distributeurs s’en soucient… Une étude réalisée par l’Observatoire des Consommations Émergentes révèle une chose: entre les trois utopies proposées – la décroissance, le collaboratif et le transhumanisme – 52% des sondés ont choisi la décroissance. Signe que la société de l’hyperconsommation arrive à bout de souffle.
Plus que l’austérité ou la sobriété, c’est à un retour vers des valeurs fondamentales, essentielles, qu’aspirent les consommateurs. Des valeurs matérielles: la qualité, la durabilité, la fiabilité sont attendues, de plus en plus, dans l’offre de produits que l’on nous vend. Mais, aussi, des valeurs immatérielles. L’art, l’amour, la joie… Ces sentiments qui, seuls, sont aptes à générer du désir, propices à la passion. Passer de l’avoir à l’être remet en cause les fondements d’une société marchande. Mais ce retournement n’est-il pas le seul moyen de faire rejaillir l’envie de la source asséchée qu’est devenu, au fil du temps, notre cœur de consommateur.