“Ce n’est pas de l’amour que l’amour qui change quand il voit un changement”, écrivait Shakespeare. Hélas, pour les commerçants, rares sont les consommateurs qui leur restent fidèles. Avec Internet, la multiplication des enseignes et des formats – physiques ou virtuels –, l’infidélité est devenue le mal du siècle. Sont-ce les Français qui sont devenus volages? Ou seulement les enseignes qui ne savent plus les retenir? Ou, plutôt, qui ne le veulent plus. Les programmes de fidélité coûtent cher. 1% à 1,5% du chiffre d’affaires: c’est beaucoup pour des distributeurs qui courent déjà après leurs marges. Du coup, ceux-ci ont tendance à proposer un service minimum en matière de fidélisation: des promotions ciblées à quelques rayons, un classique “earn and burn” (gagner des points pour mieux les dépenser) qui finit par décevoir les clients.
“Bien que demandeurs de gratifications pour leur fidélité, seuls 6% des Français ont le sentiment que celle-ci est récompensée à sa juste valeur”, révélait une étude Toluna-Generix Group, en septembre dernier. Qu’attendent ces consommateurs, pourtant si attachés à leur carte de fidélité (80% déclarent l’utiliser pratiquement tout le temps alors qu’ils font leurs courses à l’hypermarché)? De l’argent, bien sûr, pour 84% d’entre eux. Mais pas seulement. “Le consommateur est un homme avant d’être un porte-monnaie”, rappelle le mythologue Georges Lewi. En conséquence, c’est bien le relationnel, avant le transactionnel, qui va fidéliser. Sombrer dans la vénalité, c’est conforter les consommateurs dans leur opportunisme. Et, il faut le dire, céder à la facilité. Or, dans une relation de couple, rien n’est jamais facile.
Devenir une “love marque” demande un peu d’imagination, beaucoup d’attention et de l’écoute. Et c’est bien là que le bât blesse. Combien de consommateurs ne se sentent pas assez écoutés? Attirés par des marques qui leur promettent monts et merveilles – événements privés, cadeaux, promotions, services VIP – pour les inciter à s’inscrire dans leur fichier clients, beaucoup se sentent délaissés, une fois le premier achat réalisé. Une négligence parfois vécue comme une trahison. 42% envisageraient des représailles. Signe que dans le commerce, comme en amour, le désir s’entretient. Par des services, un confort d’achat, de la valeur ajoutée, là où les autres investissent dans les baisses de prix, au détriment de la relation client. Donner du sens, en somme, à la fidélité, en prouvant à chaque consommateur qu’il est unique.
Le digital peut y aider. Tracking, Beacons et algorithmes sont autant d’outils de personnalisation de la relation aux consommateurs. Et les réseaux sociaux, de nouveaux canaux de communication. Imprévisibles, drôles, parfois violents, les forums et autres pages de fans sont des espaces d’expression où se forme et se déforme l’attachement aux marques et aux enseignes. Portées aux nues un jour, piétinées le lendemain: sur la toile, celles-ci n’ont pas le droit à l’erreur. Un dérapage dans la communication, une maladresse marketing – Zara se souviendra longtemps de son étoile jaune – et, hop, la passion se transforme en haine. Afin d’éviter les chausse-trappes de l’interactivité, mieux vaut miser sur la transparence, en favorisant le dialogue avec le consommateur.
Encore faut-il avoir une histoire à raconter. Car ce qui manque à beaucoup de marques et d’enseignes aujourd’hui en perte de vitesse, c’est une identité. Suffisamment forte pour être aimée et préférée. L’art du storytelling permet au consommateur de rêver. De sortir de l’achat rituel, monotone et routinier, pour devenir un plaisir. Utiliser l’émotion comme vecteur de désir, afficher des valeurs partagées par une communauté d’individus (et non par le plus grand nombre) sont donc les défis que les enseignes vont devoir relever si elles veulent convertir leurs très chers programmes de fidélisation en véritable fidélité.