Le drive fête ses dix ans. Malgré un démarrage poussif après la création de Chronodrive en 2004, le canal a fini par exploser et trouver son public. Au point de s’imposer comme le circuit principal, voire unique, de 38% de consommateurs français. Les chiffres sont éloquents: trois millions de ménages l’utilisent dix fois par an et y consacrent 23% de leurs dépenses mensuelles, selon la dernière étude de Kantar. Bien sûr, l’extension continuelle du parc de drives participe à cet engouement. Nielsen recense 2?031 click & drives sur le territoire, soit plus que le nombre d’hypermarchés en France?! Une petite révolution sur la planète distribution. Et de quoi faire douter les distributeurs qui ont lourdement investi dans leurs magasins physiques. Une seconde. Car très vite, tous ont vu l’intérêt qu’ils auraient à prendre leur part du gâteau.
Sauf que sur le canal drive, c’est premier arrivé, premier servi. Les pionniers, Auchan et Leclerc, dominent le marché. Ils ont clairement fait du drive leur arme de conquête (de nouveaux territoires, de parts de marché) et un outil de fidélisation de leur clientèle. “Ceux qui allaient avant dans les magasins E. Leclerc vont en plus sur le drive”, note Frédéric Valette, directeur retail insights de Kantar Worldpanel. Générant, ainsi, du chiffre d’affaires additionnel. Leur réussite tient en un mot: complémentarité. Avec une offre courte sur le drive (pas plus de 7?000 références quand un Cora en propose 30?000), ciblée sur les besoins en fond de placard ou de réfrigérateur, les deux champions du drive ont su créer des synergies entre web et magasins. Et limiter la cannibalisation des points de vente.
Pour les autres enseignes – les suiveuses – l’équation économique est plus difficile. D’abord ancrées dans une posture défensive – Georges Plassat, le PDG de Carrefour, ne disait-il pas, en 2012: ”le drive, soit j’en ai et je perd de l’argent, soit je n’en ai pas et je perds des clients”? –, elles se tournent, peu à peu, vers une stratégie de diversification. Système U et Intermarché, les derniers convertis au drive ont pris le problème à revers. Pas assez forts pour se battre dans la cour des pionniers, ils capitalisent sur leurs atouts historiques: un approvisionnement local et une proximité avec leur clientèle. Ici, le drive est vécu comme un service, avec un système de retrait donnant accès à l’ensemble de l’offre du magasin. Quitte à rendre ce service payant? “Tout dépend comment on pense le drive”, note Frédéric Valette, pour qui “il n’y a pas un drive mais des drives”. Le routinier vs l’offre alléchante. L’assortiment limité contre la largeur de gamme… Un choix crucial pour les enseignes à l’heure où le canal montre, pour la première fois depuis trois ans, des signes d’essoufflement.
Car si le drive a signé la fin des courses corvées, il peine aujourd’hui à recruter de nouveaux clients. Sa base reste fidèle mais pas assez importante pour asseoir une véritable rentabilité. Des ouvertures pénalisées par des zones géographiques de second choix, une exécution du modèle drive plus approximative par les enseignes suiveuses (rupture des stocks, créneaux horaires trop restreints, sites Internet peu ergonomiques, etc.) jouent contre le camp du drive. Mais c’est surtout de sa rationalité que pâtit le canal. Exit les achats d’impulsion: 80% à 90% des adeptes du drive achètent des boissons non alcoolisées… et seulement 14% du poisson frais. Redonner l’envie aux consommateurs s’impose donc comme le prochain challenge du drive. Cela passera sans doute par une bataille du frais – Auchan, avec son offre Arcimbo l’a bien compris – et l’arrivée probable d’Amazon Fresh en France qui émeut déjà les acteurs du secteur, ne fera que confirmer cette direction. Et même si tout laisse à croire que le ticket d’entrée pour bénéficier des services haut de gamme du site (300?$ aux États-Unis, soit 217?€) devrait en limiter le nombre d’abonnés, perdre une partie des consommateurs, c’est toujours impacter des marges déjà réduites. Alors, pour ne pas se faire damer le pion par les nouveaux entrants sur le marché, les enseignes vont devoir repenser le binôme drive-magasin, notamment en matière de promotions, de logistique et d’attractivité. Et en faire un objet de désir, pour les dix années à avenir.