Des purs jus pas si naïfs - Points de Vente

Ne vous fiez pas à son auréole. Quoique précurseur sur le marché des purs jus, Innocent n’est pas pour autant novice en stratégie marketing. L’irrésistible ascension de la marque de smoothies en est la preuve. Avec 58 % de parts de marché, Innocent n’a qu’un leitmotiv : recruter de nouveaux clients sur ce marché de niche (35 % de taux de pénétration) en leur offrant des produits très gustatifs. Des nouvelles recettes de jus de fruits sans banane (kiwi pommes & ananas) en 2010 ou encore myrtilles et grenades (sortie prévue le 18 avril 2011) viennent, ainsi, compléter la gamme des sept parfums existants. “Seul un foyer sur dix consomme des smoothies, constate Philippe Cantet, directeur général de la marque. Notre priorité est donc d’amener plus de gens à en boire”. Un objectif qu’Innocent semble aisément remplir, comme en témoigne la croissance du groupe : +30 % en 2010. Mais il aura fallu un peu plus de dix ans pour que la marque s’invite dans les rayons frais des supermarchés européens. L’histoire commence en 1999, à Londres, lorsque trois copains d’université, Richard, Adam et Jones, décident de plaquer leurs vies professionnelles pour se lancer dans une aventure commune. Très vite, l’idée de travailler des produits sains et bons s’impose à eux. Tous trois partagent aussi le même souvenir d’enfance : celui du smoothie (cocktail de fruits frais) préparé par leur grand-mère en rentrant de l’école. Une madeleine qui se révèle surtout être une belle opportunité sur un marché qui, jusque-là, n’offrait que des recettes à base de jus de fruits concentrés. Tout reste à inventer su côté des purs jus. Ils saisissent leur chance.Bouche à oreilleLe concept est né, encore faut-il le vendre. Les premiers essais sont étonnants : les trois entrepreneurs testent leurs smoothies dans les parcs londoniens. Le public est conquis. Encouragé par ces premiers succès, le trio propose alors ses produits dans les sandwicheries branchées de l’Est londonien, le quartier des affaires, là où les gens sont pressés tout autant qu’ils sont attachés à la qualité des produits qu’ils consomment. Passées les premières joies de la vente, les commandes se stabilisent mais ne rapportent rien. Quasi ruinés après neuf mois d’élaboration de recettes, d’achat de fruits et de matériel, le trio tente le tout pour le tout et finit par proposer gratuitement ses produits aux commerçants. Heureux coup de dés. Le bouche à oreille fonctionne et une rencontre providentielle va transformer cette initiative un brin fantasque en entreprise ultra-rentable. Cet homme de la dernière chance, c’est Maurice Pinto. Un Franco-américain richissime qui s’intéresse à eux, à la suite d’une recherche de fonds baptisée “si vous avez un ami qui a un ami riche” que les trois entrepreneurs ont lancé sur le Net. L’audace paie. Le mécène injecte 20 000 livres dans l’affaire. Le projet décolle. À tel point que l’entreprise s’autofinance durant dix ans. Innocent multiplie par deux ses volumes. Une progression qui repose, selon Philippe Cantet, sur deux fondamentaux : “le plaisir gustatif et l’éthique”. En somme, des produits bons, sans additifs et respectueux en matière de développement durable.L’argument éthiqueLes fruits sont d’abord choisis pour leurs saveurs et leur texture adaptée au smoothies : mangues du sud de l’Inde, bananes d’Amérique centrale, grenades de Tunisie. La fabrication des smoothies répond, ensuite, à 70 critères environnementaux ou sociaux. Exemples : des fruits sourcés au plus près pour éviter les transports, un bilan carbone faible et des bouteilles en PET recyclé. Mieux : 10 % des bénéfices sont reversés dans les pays producteurs via une fondation créée par la marque. “Redonner du sens à l’acte de consommation”, c’est là toute la philosophie de la marque dont s’inspire le nom “Innocent”. “Nous voulons construire un commerce dont on puisse être fiers”, résume Philippe Cantet. L’argument séduit. En moins d’un an, Innocent devient la marque favorite de smoothies de Londres, puis celle de tout le pays. Le grand tournant s’opère en 2003-2004, lorsque la marque pénètre en grande distribution. Ce qui lui apporte un fort effet de levier et de croissance : “On est passé de 10-12 M à 70 M de livres”, raconte Philippe Cantet.Welcome in FranceEn 2006, Innocent débarque en France, sur un marché des jus de fruits en pleine ébullition et dominé par deux acteurs majeurs : Tropicana et les MDD. La marque doit donc trouver sa place. Elle commence par choisir des clients prioritaires, Monoprix et Elior (gare et aéroport), et développe des produits qui s’adaptent partout. “Nous avions besoin de recettes légèrement différentes, moins acides”, explique Philippe Cantet. Et, surtout, d’un travail pédagogique : traduire l’imprononçable mot “smoothie”. Puis l’expliquer à travers des campagnes de publicité TV et Internet, très descriptives. Enfin, clé du succès : faire goûter les produits aux consommateurs, directement en magasin. Pari gagné. En 2010, Innocent devance Tropicana et devient le leader du secteur en France avec 41 % de parts de marché. Un autre défi se dessine : se débarrasser de l’image bobo et élitiste de ses débuts. La marque adapte son format familial (passage de 1 l à 75 cl) et renforce sa présence dans les hypers (notamment chez Carrefour et Intermarché, en 2011). Une stratégie d’expansion qui, pas à pas, suit son bonhomme de chemin. “Nous avons le sentiment d’avoir entre les mains une marque au potentiel très fort”, affirme Philippe Cantet. Et pour régner sur le marché des jus de fruits frais, Innocent a un secret : afficher plus de constance que les autres. Une stratégie appliquée à la lettre depuis cinq ans. Après tout, ne dit-on pas qu’il faut de méfier de l’eau qui dort ?