Quelques chiffres pour vous ouvrir l’appétit… 750?milliards de dollars?! C’est le coût du milliard de tonnes de nourriture gaspillée chaque année dans le monde selon la FAO (organisation des Nations Unies pour l’alimentation), soit un tiers de la production globale de denrées alimentaires. Dans les pays du Nord, le gaspillage atteint 222millions de tonnes, soit l’équivalent de la production alimentaire nette de l’Afrique subsaharienne (230millions de tonnes). En France, on jette plus de 20kg par personne et par an, dont 7kg de produits dans leur emballage non ouvert. Un gâchis qui représente, au minimum, une perte de 400?euros par foyer chaque année.
La faute à qui?
Tout le monde semble se tenir la main, du producteur au consommateur. Mais pour Bruno Lhoste, auteur de la Grande (Sur-) Bouffe, “les raisons sont liées à la grande distribution qui reporte le gaspillage vers l’aval ou l’amont”. Dans la ligne de mire, en vrac, la sur-consommation poussée par certaines pratiques marketing, les contraintes logistiques imposées par la GMS, la gestion des DLUO et des DLC ou encore le calibrage des fruits et légumes… Ici, exit les tordus, les trop petits, les pas assez colorés. Rendez-vous avec l’eugénisme du rayon, un racisme ordinaire largement entretenu par distributeurs et consommateurs.
Concrètement, un patron d’un supermarché nous indique retirer 250kg de produits chaque jour, tous rayons confondus. Pour être jetés ou donnés. De toute façon, pas de problème, la perte potentielle est incluse dans le prix de vente. Une culbute peut même être faite grâce aux dons. Et c’est tant mieux. Exemple: en retirant ses packs de yaourts 6 jours avant la date de péremption et en les donnant à une ONG, un distributeur peut valoriser sa marchandise, la réduction fiscale s’élevant à 60% du don. “Que je fasse des promotions moitié prix ou des dons, les bénéfices sont équivalents”, nous dit-il. Reste que tous les points de vente n’ont pas les moyens humains et logistiques de mettre en place des procédures de tri pour faciliter le don.
Et maintenant, on fait quoi?
Des initiatives fleurissent dans les enseignes pour donner une seconde vie aux aliments: ventes en vrac, kits de soupe pour les légumes abîmés, bar à smoothies pour les fruits défraîchis… Mais les gros chantiers sont ailleurs. Dans la ligne de mire, certaines méthodes devenues obsolètes comme le Délai Garanti Client, une contrainte imposée par la distribution qui exige que les industriels livrent leurs produits à maximum deux tiers de la DLUO. Une hérésie?! Alors même que l’on parle de remplacer ce sigle par “à consommer de préférence avant”, afin de ne pas induire en erreur le consommateur, puisqu’il n’y a aucun danger de sécurité alimentaire, juste une perte des qualités organoleptiques du produit. Alors même que l’on parle, aussi, de rallonger les DLC soumises à des règles sanitaires trop strictes. Au-delà de cette date, réglementairement, le produit ne doit plus être commercialisé. Sauf, que, souvent, comme pour les yaourts, il est encore bon de… nombreuses semaines. Et pour cause: la DLC est fixée par le fabricant, sous sa seule responsabilité. Parfois, en fonction de ses propres capacités de production. Et toujours avec l’idée qu’avec une date courte, les consommateurs rachètent plus vite… et, potentiellement, peuvent gâcher plus souvent.
Que reste-t-il?
Il y a urgence. La Commission européenne estime que si rien n’est fait, le gaspillage alimentaire pourrait augmenter de 40% dans la prochaine décennie. Du coup, il y a un an, Guillaume Garot, le ministre délégué à l’agroalimentaire, lançait son Pacte national de lutte avec 11 mesures à la clé. Objectif: diviser par deux le gaspillage alimentaire d’ici à 2025. Au programme: des formations en lycée agricole, en école hôtelière, des incitations aux dons, des réflexions sur la DLUO, la DLC… Et une première: le lancement, le mercredi 16?octobre, de la Journée nationale de lutte contre le gaspillage alimentaire. Sur la Place de la République, un banquet est dressé avec les invendus fournis par le marché de Rungis. Et de grands chefs comme Thierry Marx, Grégory Cuilleron, Pierre Sang, Brice Morvent ou Abdel Alaoui montrent aux passants comment accommoder les restes. Tout un art.