Il y a un problème dans la grande distribution. Alors que les prix de l’alimentation s’affaissent de 0,2% en septembre (et de 0,4% sur un an), une majorité des Français (56% selon l’ObSoCo) déclare ressentir une accélération de la hausse des prix. À ce ressenti s’ajoute un sentiment d’injustice. “Près de deux tiers des Français jugent injustes les prix auxquels sont généralement vendus les produits de marque dans la grande distribution”, constate le sociologue Philippe Moati. Les résultats du sondage mené par ce dernier sont édifiants : 63% des consommateurs interrogés par l’institut imputent encore la hausse des prix des produits du quotidien à la volonté de distributeurs (à 44%) ou des fabricants (19%) d’accroître leurs profits. Un coup dur pour des enseignes qui se targuent d’être les défenseurs du pouvoir d’achat?! Et le signe que tous les efforts (et les euros) investis, ces 18 derniers mois, dans la guerre des prix ne servent à rien.
Ce qu’attendent les consommateurs, c’est autre chose que du prix bas. Le ras-le-bol de l’esbroufe marketing et de ses surcoûts – récemment symbolisés par l’iPhone 6 Plus – couplés aux tensions sur le pouvoir d’achat a fait naître un vrai désir de qualité. Et sur ce point-là, l’impression n’est pas meilleure puisque, toujours d’après l’ObSoCo, 70% des personnes interrogées considèrent que le rapport qualité-prix des produits proposés dans le commerce tend à se dégrader. Là plus qu’ailleurs, la mauvaise réputation a la vie dure. Et dans ce sens, il faut dire que le retour de la publicité comparative, éternelle variation sur un même thème, n’a pas aidé les distributeurs à sortir du discours sur le prix. À quand le retour de la qualité comme argument numéro un des enseignes?
Un vœu pieux inlassablement exprimé par les industriels. Et pour cause, ce sont sur les marques nationales que les baisses de prix ont été les plus fortes en 2014 (-2,6%). C’est, de plus, sous de mauvais auspices que s’ouvrent les négociations commerciales puisque les deux importants mouvements de concentration dans la distribution – l’accord de coopération à l’achat Auchan-Système U et celui d’Intermarché et Casino – sont venus rebattre les cartes des relations avec les fournisseurs. Au grand dam des industriels. “Seulement quatre acteurs au coude à coude se partagent désormais 90% de parts de marché. Comment ne pas craindre une amplification de la guerre des prix”, s’alarme Jean-Philippe Girard, président de l’Ania. C’est le serpent qui se mord la queue. Jusqu’où ira la spirale déflationniste? “Derrière les marques, il y a des usines, des emplois et des individus”, a rappelé Matthieu Lambeaux, le directeur général de Findus France, lors de la dernière présentation des résultats du groupe. À méditer.
Car les consommateurs, eux, ne sont pas dupes. Ils savent bien que derrière la compétition prix, c’est la qualité des produits et les emplois qui en pâtissent. Et ils sanctionnent. La descente aux enfers du segment des plats cuisinés, depuis le Horsegate de 2013, en témoigne: – 6,3% en 2014. Et ce sont les premiers prix qui sont les plus touchés. Face à ce constat, une question s’impose: le prix juste ne serait-il pas celui qui rémunère la qualité, l’innovation, l’investissement des entreprises dans les filières et les outils de production? N’est-il pas celui qui fait vivre une région ou même une ville, comme le fait l’usine de Findus à Boulogne-sur-Mer, où le taux de chômage dépasse les 25%? Le prix juste n’est-il pas, au final, celui qui met un terme à la guerre des prix entre enseignes, pour aller vers plus de coopération et de collaboration? Gageons que le changement d’équilibres actuel oriente les acteurs sur une voie plus créatrice de valeur. Mais encore faudrait-il que ceux-ci mesurent plus justement le poids et la valeur de leurs fournisseurs.