Slow food. Le mot désigne un mouvement né en 1986, autour d’une idée commune: l’amour de la bonne chair et de la vie rurale. S’opposant aux premiers projets de restauration rapide, l’association prône la réduction de la fracture alimentaire entre les riches (en quête de naturel et d’authenticité) et les pauvres (contraints aux plats industriels à bas prix) par le retour à une alimentation simple issue d’un mode de production artisanal. Mais surtout, il impose de prendre le temps. Celui de choisir ses aliments, la façon dont on va les cuisiner, avec qui on va les déguster. Un art de vivre que l’industrie agroalimentaire, plus adepte du vite-fait que de la philosophie de la lenteur, nous fait parfois oublier.
Prenons le temps, donc, de réfléchir à la viande. Le rapport de l’homme à l’animal a changé. L’urbanisation a distendu les liens avec les coutumes paysannes: la chasse, la mise à mort de l’animal, sa préparation et sa consommation nous sont peu à peu devenues étrangères. Que le lion coure après la gazelle pour se nourrir passe encore. Mais que l’on gave une oie pour faire du foie gras, c’est Pamela Anderson et le parti EELV assurés?! En GMS, lapin, bœuf, ou cochon sont servis cuisinés, prédécoupés, sous vide, en conserves ou surgelés. Le lien direct avec l’animal a été rompu. “L’une des manières de régler le problème de la mort animale, c’est de ne plus faire de connexion entre la viande et l’animal lui-même”, selon le sociologue Jean-Pierre Poulain. Certes pratiques, ces “Objets Comestibles Non Identifiés”, comme les appelle Claude Fischler ont un défaut: ils font peur aux consommateurs. Et la viande sous sa forme transformée devient suspecte.
Le végétal, a contrario, a tout bon: il ne nécessite pas d’élevage polluant, ne fait souffrir aucun être vivant et il est réputé bon pour la santé. Le végétarisme est dans l’air du temps, et le flexitarisme – les végétariens à temps partiel – la grande tendance. Parfait. Augmenter notre consommation de légumes ne fera pas de mal à nos cœurs et à nos corps. Mais peut-on vraiment imaginer un monde sans viande? Une terre privée d’élevage serait, par conséquent, privée de lait. Les céréales, sans fumier, peineraient à pousser. Comment imaginer nourrir 9,5?milliards d’habitants en 2050 – majoritairement citadins – rien qu’avec des végétaux? Et qui aura le temps d’éplucher et de préparer tous ces légumes? Les seniors? Encore une fois, un fossé va se creuser entre ceux qui auront le temps et les moyens de se nourrir sainement et ceux qui devront se contenter de plats préparés achetés en grande distribution. Encore la fracture alimentaire.
Or, ce qui réunit tous les Français – âge, sexe, catégorie socio-professionnelle confondus –, c’est le plaisir. 80% déclarent que manger doit être un plaisir. Et au cœur de notre culture gastronomique, il y a la viande. Les Français adorent la charcuterie. 9 sur 10 seraient prêts à s’insurger si celle-ci devait être supprimée?! Preuve que le saucisson et le pâté de campagne séduisent encore davantage que les lentilles au tofu ou les criquets au paprika. Pour combien de temps, on ne sait pas. Le réchauffement climatique, l’explosion de
la démographie et les contraintes écologiques vont certainement changer la donne. “Les idées changent nécessairement dans un pays où les éléphants et les tigres sont chez eux”, écrivait Goethe et, déjà, les scientifiques et les industriels travaillent de concert sur des aliments du futur. Mais d’ici à ce que la viande en 3D ne remplace notre entrecôte saignante, de l’eau devrait couler sous les ponts. Ce que nous dit le flexitarisme, c’est que le consommateur veut avoir le choix. Celui de n’être ni un viandard, ni un végétarien: juste un mangeur qui prend le temps de trouver sa juste alimentation.