[Extrait de notre enquête: “Supply chain, un Noël sous tension”]
PDV: Comment les retailers appréhendent-ils la crise ?
Emmanuel Le Roch: Il s’agit d’un sujet sérieux qui est abordé avec préoccupation par les enseignes, qui pour un certain nombre d’entre elles, possèdent des stocks prêts à être envoyés d’Asie et sur lesquels elles n’ont pas de visibilité depuis des semaines. Cela crée des tensions, notamment, dans le secteur du jouet où les acteurs jouent très gros en fin d’année. Des références de produits, en particulier les best-sellers pourront manquer dans les rayons. Le bricolage, l’ameublement et l’électronique sont également impactés. Deux sujets se croisent à travers cette crise : les retards d’approvisionnements en provenance de l’Asie et le manque de matières premières pour alimenter les usines européennes. Dans la panique, tout le monde s’est rabattu sur des productions plus proches géographiquement de manière violente, saturant la production sur des outils qui n’étaient pas adaptés à de tels volumes.
PDV:Quelles seront les conséquences de cette crise ?
ELR: 70 % des enseignes que j’ai interrogées estiment que cette crise aura un impact inférieur à 5 % sur leur chiffre d’affaires mais 30 % l’anticipent jusqu’à 10 %. C’est beaucoup ! Face à cette situation, les commerçants se sentent impuissants. Ce n’est pas comme s’il suffisait de payer plus cher pour accélérer les délais : il n’y a pas de conteneurs ! Ils s’inquiètent aussi de la hausse des prix des conteneurs qui va dégrader leur marge ou leur chiffre d’affaires, ou bien créer de l’inflation. Les acteurs de la chaussure et du textile, notamment, vont être très impactés. En revanche, les entreprises qui ont misé sur le Made in France s’en sortent bien. La crise logistique leur a donné raison en validant la pertinence de leur modèle économique.
Bien entendu, cela ne représente aujourd’hui qu’une petite partie des volumes vendus.
PDV: Comment voyez-vous l’avenir ?
ELR: Cette crise va accélérer la tendance à produire moins et à faire moins de soldes. Elle va, également, contribuer à diversifier et rapprocher les sources d’approvisionnement. Les sourcings lointains présentent la double contrainte des coûts de transport et de l’absence de maîtrise des process tout au long de la chaîne logistique. Toutefois, si la consommation responsable est l’une des évolutions à venir, reste le problème du prix. Le pouvoir d’achat reste la préoccupation majeure des Français comme en atteste le développement du discount. Réduire les volumes produits entraînera automatiquement une perte de chiffre d’affaires et les enseignes auront du mal à augmenter les prix, compte tenu de la pression concurrentielle – notamment le e-commerce – et les habitudes des consommateurs en matière de promotion. Il y a un enjeu de marges qui nécessite d’avoir les reins solides pour tenir financièrement dans cette équation.