Des négociations sous tension

Elles n’ont jamais été aussi dures. C’est sous haute tension que se déroulent les négociations commerciales 2019, alors que la controversée loi Alimentation vient d’entrer en vigueur le 1er?février. “Il y aura une forte pression sur les prix net car l’attractivité des promotions est limitée par ce nouveau texte et qu’à un moment, quelqu’un devra payer”, indique Frédéric Fournier, avocat associé du cabinet Redlink. La question qui s’impose est la suivante: est-ce que l’argent qui sera perdu sur l’alimentaire sera vraiment rétrocédé aux producteurs? Bien malin celui qui pourra y répondre. “Personne n’a parlé des mécanismes de reversement aux agriculteurs”, note l’expert retail Frank Rosenthal. Clé de voûte de la fameuse théorie du ruissellement, pourtant… Doit-on espérer que cette nouvelle réglementation normalise le marché en faveur de la filière amont? Les petits en pâtiront Pour Valérie Ledoux, avocate au cabinet Racine, les EGA ont conclu une nouvelle fois au déséquilibre des relations entre grande distribution et agriculteurs. “Depuis que les mécanismes de gestions de marché ont quasiment disparu, les agriculteurs se sont retrouvés en position de faiblesse dans les négociations commerciales”, raconte-t-elle. En 2010, des contractualisations entre producteurs et acheteurs ont vu le jour et en 2019, la loi Alimentation va plus loin en régulant le marché. “Constatant pas mal de dérives sur les opérations promotionnelles, le législateur a décidé d’encadrer ces pratiques et de les limiter”, ajoute-t-elle. Si la démarche est positive, reste que la mise en œuvre de cette loi est compliquée… Et impacte peu la réalité des négociations. “Comme d’habitude, les lois censées protéger les plus faibles finissent par se retourner contre eux?! Les petits fournisseurs qui vendent peu de produits à la grande distribution perdront du chiffre d’affaires. Surtout que rien dans la loi, aujourd’hui, ne permet de s’assurer que la limitation de la promotion va se répercuter favorablement sur eux”, note l’avocate. De fait, les consommateurs peuvent aussi se détourner des produits non promotionnés. “Cela risque de tendre encore plus les négociations car les distributeurs vont vouloir compenser ailleurs que sur l’alimentaire et donc de négocier plus durement sur d’autres produits”, poursuit-elle. Le risque, c’est que la vis se resserre sur les TPE/PME spécialisées dans les produits non-alimentaires. Construction du prix inversée Le scénario semble se répéter. Quel équilibre, alors, trouver? “Depuis 20 ans, on va dans tous les sens. Pour sortir de cette impasse, il va falloir travailler sur l’amont”, suggère Valérie Ledoux. De fait, en aval, les regroupements à l’achat entre distributeurs se multiplient alors qu’en amont, les tentatives d’alliances sont compliquées à mettre en place. “Les producteurs ne comprennent pas pourquoi d’un côté on les sanctionne de vouloir s’organiser – on pense, dernièrement à l’affaire des endives dénoncée par l’Autorité –, mais de l’autre on autorise les alliances à l’achat de la grande distribution”, constate l’avocate. Selon elle, la loi Egalim contient toutefois des dispositions intéressantes sur l’inversion de la construction prix. “On part du producteur et non de l’acheteur. De cette façon, l’on confie aux producteurs l’initiative de la proposition de contrat face aux premiers acheteurs sur la base d’indicateurs établis par les interprofessions”, explique-t-elle. Reste à imposer que ces indicateurs soient suffisamment pris en compte dans la suite de la chaine, c’est-à-dire sur les contrats de revente. Encore un dispositif difficile à mettre place mais qui va dans le bon sens. “C’est en se dirigeant vers une plus grande responsabilisation des producteurs et une restructuration de la chaîne amont que l’on retrouvera un équilibre”, assure l’avocate. Si la loi Egalim est la première pierre, un pont reste à construire entre agriculteurs et distributeurs.