Tout le monde, serait-on tenté de répondre à la question, tant elle est brûlante d’actualité. Remontons il y a quelques mois seulement, alors qu’une partie des consommateurs français jouissaient de congés d’été bien mérités, une série d’événements inédits bouleversait l’univers de la grande distribution américaine. Walmart, la figure la plus traditionnelle des hypermarchés made in USA, annonce le rachat du petit génie des algorithmes, Jet.com. Pour la première fois, un magasin physique sautait à pieds joints dans la matrice du Big Data. Deuxième annonce: l’ogre Amazon avale Whole Foods et en profite pour brader tous les prix de l’enseigne. Chaos en linéaires. Troisième round: le même Walmart s’allie avec Google pour contrer Amazon. Le visage du retail est résolument en train de se métamorphoser.
Certes, les États-Unis ne sont pas la France. Et le rapprochement entre Whole Foods et Amazon n’est pas si incongru que cela, les deux acteurs partageant la même cible de consommateurs bobos et urbains. Oui, Amazon est loin d’avoir développé en France la panoplie de services qu’il propose sur le territoire américain (Amazon Fresh, Amazon Books, Amazon go, ect.). Et il est encore vrai que le partenariat Walmart-Google n’est qu’en phase de test. N’empêche que pris dans leur ensemble, tous ces mouvements de rapprochements forment un nuage plus que menaçant sur le commerce physique et qui n’a que l’océan Pacifique à traverser pour arriver en Europe. Or, à l’heure d’internet, les kilomètres deviennent des microsecondes.
Alors oui, il faut avoir peur d’Amazon. Ne serait-ce que pour remettre en question ses propres convictions, ses habitudes de commerçants, pas toujours optimales. Le champion tout terrain de la logistique agit en roi sur le e-commerce (dont il détient 40% de parts de marché) et lorgne dangereusement le monde du retail physique. Pis, le site a été élu “enseigne préférée des Français”?! Un comble, face aux acteurs historiques du marché. Mais son champ d’action ne se réduit pas au web. Grâce à son savoir-faire et ses moyens financiers, le pure player convertit toutes les nouvelles technologies appliquées à la vente et à la relation client en leviers d’innovation et de différenciation. C’est le cas, aujourd’hui, des assistants vocaux qui apparaissent comme les futures aides à la vente de demain. Au revoir marques et magasins: bienvenue dans l’ère désintermédiée et 100% digitale, fief d’Amazon Le Grand et d’Alibaba Ier.
Au carrefour de la technologie et du retail, les distributeurs français n’ont d’autre choix que d’élaborer une stratégie de défense: capitaliser sur ce qui fait leur force face aux marketplaces, à savoir, le magasin physique et l’implémenter avec toutes les extensions digitales qui en feront un lieu “phygital”, mi-physique, mi-digital. Le temps presse pour enclencher la transformation digitale. L’exemple de Toys’R’us récemment contraint à fermer ses magasins déficitaires sur un marché du jouet qui a inéluctablement basculé dans le e-commerce (31% des ventes se font sur Internet aux USA) rappelle à quel point Darwin avait raison: seuls ceux qui évolueront survivront. Pas étonnant alors, qu’une enseigne emblématique comme Ikea envisage d’élargir la distribution de ses produits aux revendeurs tiers sur Internet, en réfléchissant à de nouveaux canaux de vente. Les plateformes en font partie, Amazon inclus. Faire de son ennemi son meilleur ami est une façon de parer les coups. Si l’alliance Amazon-Ikea n’est pas encore d’actualité (l’enseigne affirme, pour l’heure, n’avoir pas choisi de partenaire), la démarche du retailer suédois nous apprend une chose: rien ne sert d’avoir peur, c’est en allant au devant du danger que l’on saura, au mieux, le maîtriser.