Ambiance fin de siècle pour le discount. Alors qu’il affichait 14% de parts de marché en 2009, le segment peine aujourd’hui à dépasser les 12%. Pourtant, les effets de la crise se font toujours ressentir sur la consommation. Pourtant, le facteur prix reste le premier critère d’achat. Pourtant, de moins en moins, on associe discount à piètre qualité des produits. Encore moins, à une forme de déclassement social. Le hard-discount s’est banalisé. Un peu trop? Le concept, vite récupéré par les enseignes de la grande distribution traditionnelle, s’est essoufflé. Grandeur et décadence. Splendeur et misère. Nul, il y a dix ans, n’aurait prédit un avenir balzacien à ce marché qui fonctionne si bien outre-Rhin. Si ce n’est quelques résistances culturelles. “L’approche consumériste française reste très attachée aux notions de convivialité, de goût, de qualité”, rappelle Yves Marin, Senior Manager chez Kurt Salmon. La culture a la peau dure. Dans un pays où le repas gastronomique est entré au panthéon du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, les rabais sur l’alimentation ne séduiront jamais autant qu’une promesse organoleptique.
Reste que le consommateur est à tendance schizophrène. Contraint dans ses dépenses, il se serre la ceinture sur les produits du quotidien pour mieux se laisser tenter par des produits très qualitatifs, de temps en temps. C’est le fameux “craquage” tant recherché par les directeurs des ventes. “Si les clients cessaient d’acheter sur des impulsions, croyez-moi, c’est l’économie toute entière qui s’écroulerait”, écrivait, en 2004, l’anthropologue américain Paco Underhill dans sa Science du Shopping. Et l’on comprend pourquoi les clients se sont peu à peu détournés des magasins discount pour réintégrer leurs bons vieux hypermarchés. Fuyant une offre peu attractive, sans odeur ni saveur, au profit de marques nationales innovantes et de MDD qui s’inscrivent, de plus en plus, dans le sillage de ces mêmes marques. Voilà pourquoi Lidl a donné un tournant radical à sa stratégie. Des espaces de vente agréables et lumineux, loin de l’ambiance palettes et entrepôts, des produits frais et des marques nationales… L’ancien porte-drapeau du hard-discount serait-il prêt à jouer dans la cour des grands?
Pas si sûr. Côté marketing, la route va être longue pour imposer les produits Lidl au même niveau que ses concurrents traditionnels. Surtout lorsque Monoprix, la plus chic et bobo des enseignes de distribution, se met elle aussi à faire du discount. La marque P’tits prix, resserrée à une centaine de produits dits essentiels (et 200, à terme), affiche des prix cassés. Avec un objectif: améliorer l’image prix de l’enseigne et conquérir de nouveaux clients. Preuve que le discount fait partie, à part entière, de l’offre alimentaire classique et ne se distingue plus par des enseignes spécialisées. Signe, aussi, que l’obsession du prix continue de hanter les distributeurs. N’en déplaise à Michel-Edouard Leclerc qui annonçait, en mars dernier, ne pas vouloir “allumer une nouvelle mèche pour une soi-disant guerre des prix”… avant de relancer une nouvelle campagne “Qui est le moins cher?” à la télévision.
Alors certes, le discount a perdu de son panache. Comme le César Birotteau de Balzac, il aura connu le prestige… mais il échappe à la misère?! Car si le modèle hard s’est adouci, plutôt que de disparaître, son esprit – un besoin, un produit – continue d’inspirer les distributeurs traditionnels. De ce destin contrarié, ils ont, au moins, une leçon à retenir: qu’ils soient pauvres ou riches, dans une économie de crise ou florissante, la condition sine qua non des consommateurs français est celle d’avoir le choix. De pouvoir passer du discount au premium quand ils le souhaitent. D’une catégorie à une autre, juste pour se faire plaisir. Il sera toujours plus facile de changer de rayon que de classe sociale.