“Nous ne voulons pas d’une innovation alibi”

Qu’est-ce que l’innovation pour vous? Elle fait partie de notre vie au quotidien avec, toujours, pour philosophie, un certain bon sens. Autrement dit, nous refusons l’innovation pour l’innovation. Nous ne voulons pas d’une innovation alibi. Ce sont des tentations que nous comprenons, compte tenu des pressions subies par les entreprises tant du côté des distributeurs que des actionnaires. En revanche, nous refusons d’entrer dans ce cadre. En tant que PME, ce ne serait pas tenable. Je pense d’ailleurs que ce type d’innovations, avec un marketing à grosses ficelles, est en train de mourir.Ce marketing a pourtant l’air encore bien vaillant…C’est vrai. Je prêche pour ma paroisse, ma philosophie, notre façon de faire notre métier. Nous sommes conscients de ce qui se passe: un changement d’EAN pour un changement de parfum avec un + 5 % sur le tarif. Ce n’est pas notre façon de concevoir l’innovation. Pour nous, elle doit être imprégnée de bon sens. Par exemple, nous sommes une marque traditionnelle et artisanale. Pour autant, cela ne veut pas dire que nos produits restent aussi peu pratiques qu’en 1919… Les consommateurs attendent de l’efficacité, de la praticité. Nous nous inspirons donc de nos recettes traditionnelles en les adaptant au goût du jour et aux attentes des consommateurs d’aujourd’hui.Un exemple de cette adaptation au marché? Un de nos produits phares, c’est le savon noir. À l’origine, c’était un savon mou qui ressemblait à une pâte dorée. Il est fabriqué à base d’huile de lin, un ingrédient de couleur foncée. C’est un produit extrêmement économique, très efficace, mais qui demande, dans cette version, un certain effort du côté des consommateurs: il faut le diluer, ce qui n’est pas pratique pour tout le monde. Nous avons donc travaillé sur une version liquide prête à l’emploi en spray. Nous sommes les premiers à offrir ce type de produit. C’est ce que l’on peut appeler une innovation tirée par la tradition.De la même façon, nous proposons une version en crème de la pierre du droguiste, un produit nettoyant récurant à base de kaolin, de savon et d’huiles essentielles proposé avec une petite éponge pour plus de praticité en termes d’usage qu’un produit à diluer.Quels sont les process qui tirent l’innovation? les consommateurs sont à la base de tout process. Nous avons un site Internet dédié et une boutique à Saint-Malo qui nous permettent d’être en veille permanente. Les clients viennent souvent nous demander un truc, nous faire part de leurs commentaires, de leurs souhaits. Et le plus souvent, les innovations sont tirées de ces réflexions. Ensuite, nous définissons un cahier des charges qui répond aux besoins. Nous avons un laboratoire intégré qui prend le relais sur la définition du produit. Nous sommes une PME d’une trentaine de personnes dont deux sont dédiées à la R&D. Tout est travaillé en interne, y compris le packaging.Quels sont les freins à l’innovation? La difficulté de référencement reste permanente. Quand on est une PME, je crois que c’est encore plus prégnant que pour de grandes multinationales qui parviennent à imposer leurs gammes. C’est clairement notre principale difficulté même si les distributeurs sont de plus en plus à l’écoute d’offres différenciantes qui répondent à une tendance de fond et à une attente sociétale. C’est ce que nous essayons de faire en permanence. Cela exige que l’on se remette en cause souvent, en faisant parfois des choix, voire des paris importants. Cela veut dire tenir un positionnement et ne pas tomber dans la facilité. Ce n’est pas évident, mais nous sortons 4 à 5 nouveautés par an. Et nous sommes référencés partout.Quelles sont ces nouveautés? Nous sommes au tiers du chemin des nouveautés 2015 que nous présenterons en octobre prochain. Pour l’heure, nous sommes en phase de lancement des nouveaux produits 2014. Nous portons, notamment, un produit très simple qui n’existait plus dans les rayons: un savon de Marseille liquide. Nous sommes, également, les premiers à lancer des cristaux de soude en sachets doypack qui préservent la qualité des matières premières très sensibles à la lumière et à l’humidité.Et votre identité visuelle n’a pas changé…Non, c’est pratiquement la même qu’en 1919. D’ailleurs, les anciens de Briochin racontent qu’en 1990, lors du retour de la marque, on les traitait de fous avec ces packagings et ces recettes de grand-mère face aux géants du secteur. Il faut dire que nous avons été une nouvelle fois précurseur: la tendance à l’authentique et à l’artisanal n’était pas encore au rendez-vous. Nous étions en avance… Repères Depuis les années 90, la marque Briochin remet au goût du jour des produits d’antan multi-usages. Mais le spécialiste breton, implanté dans les Côtes d’Armor, près de Saint Brieuc (dont les habitants s’appellent les Briochins), sait de quoi il parle. L’entreprise est née en 1919. Elle s’adresse, à l’origine, aux professionnels en fabriquant des produits d’entretien (savon, cirage, encaustique) pour les garagistes, les peintres, les imprimeurs… Avec, comme produit phare, le savon Briochin, un savon d’atelier multi-usages. Le produit disparaît dans les années 70, au moment où le marketing et les multinationales du secteur prennent leur essor. La marque existe toujours, mais tombe en désuétude. Elle est relancée dans les années 90, sous le nom de Jacques Briochin, avec, cette fois, pour cible, le grand public, tout en conservant le savoir-faire existant de fabrication de produits assez techniques. “L’idée était simple: il existe des produits professionnels. Rendons-les de qualité, accessibles et simples avec des matières sans complexité. Nous nous sommes développés en grande distribution sur ce positionnement qui, finalement, n’a pas changé depuis 1919”, souligne Florent Coeffec, responsable marketing et développement de la marque. En 2009, il décide de relancer le savon noir, le produit d’origine. La marque tablait sur 10?000 ventes… elle en écoulera plus de 100?000. Les consommateurs, à l’affût de produits économiques, efficaces, authentiques et écologiques (50% de la gamme est Ecocert) sont au rendez-vous face aux géants du secteur. Ce qui fait dire à la marque dans une campagne de presse, en 2011, que “Le bon sens est plus fort que le marketing”. La provoc’ où l’on se moque gentiment du grand méchant loup pour affirmer ses valeurs étant, aussi, une habile grosse ficelle du marketing…

“Nous ne voulons pas d’une innovation alibi”

Jacques Briochin : entretien avec Florent Coeffec, responsable marketing et développement