“Il faut croiser 400 données par produit”

Vous êtes biochimiste. Qu’est-ce qui vous a fait passer de la recherche à l’engagement sur un projet comme Noteo et les Palmes de l’Alimentation?J’ai toujours travaillé sur les aspects de la chimie et de la toxicologie en lien avec les produits de grande consommation. Je me suis rendu compte que c’était sûrement un levier intéressant pour faire bouger les lignes afin que le consommateur puisse faire des choix éclairés mais, aussi, pour que les industriels adoptent des process et des substances les moins nocifs possible. C’est ce qui m’a séduit dans ce projet de Noteo et des Palmes de l’Alimentation. Nous avons mis en place une méthodologie articulée autour de 4 dimensions: la santé-nutrition, l’environnement, le social et le budget. Nous avons travaillé pendant deux ans pour mettre en place les premiers développements méthodologiques. Nous avons pris notre temps afin de garantir notre indépendance et d’utiliser les données scientifiques les plus récentes et les plus pertinentes. Et puis nous savions qu’il nous fallait croiser, en moyenne, 400 données par produit pour établir les 4 notes correspondant aux 4 dimensions.Dans le cadre des Palmes de l’Alimentation, nous avons recentré notre analyse sur l’environnement, le social et la santé-nutrition avec un zoom particulier sur les additifs. Les produits récompensés sont donc ceux qui présentent le meilleur impact en termes de nutrition et qui réduisent leur empreinte chimique soit en utilisant le moins d’additifs possible, soit en recourant à des additifs naturels.En quoi votre spécialité apporte-t-elle une caution scientifique aux Palmes de l’Alimentation?Ma spécialité est en lien avec la chimie, donc la toxicologie, autrement dit les impacts sanitaires de type cancer ou encore les problématiques émergentes comme les perturbateurs endocriniens sur lesquels un important débat s’engage, actuellement, au niveau européen, en vue d’une législation. Au niveau méthodologique, nous avons choisi de nous baser sur les travaux de la Commission européenne, mais aussi sur des organisations et des scientifiques qui travaillent spécifiquement sur ces thématiques afin d’identifier les substances, en l’occurrence dans l’alimentaire, qui pourraient, malheureusement, représenter ce type de risques.Au niveau nutrition, nous utilisons la méthodologie Sain-Lim développée par l’Inra en partenariat avec l’Inserm, basée sur deux indicateurs synthétisant les effets bénéfiques et défavorables des aliments. Cette méthodologie est également utilisée par l’Anses pour déterminer ses allégations nutritionnelles. Nous avons donc à disposition un outil consensuel, standardisé qui renseigne assez finement sur les qualités nutritionnelles d’un produit.Travaillez-vous également sur les risques potentiels liés aux associations entre différentes molécules?C’est une problématique extrêmement complexe qu’il est difficile de modéliser. La dimension que nous avons choisie pour refléter ce “cocktail” chimique auquel nous sommes exposés, c’est d’évaluer les substances au niveau de chaque produit. Plus le score additif est élevé, moins bonne est la note. Nous avons globalement recensé une quinzaine d’additifs préoccupants. Nous nous concentrons particulièrement sur le BHA, le butylhydroxyanisol, communément appelé E320, probablement cancérigène et présent dans la classification des perturbateurs endocriniens de la législation en préparation au niveau européen. Il est encore largement utilisé...Les industriels réduisent-ils le nombre d’additifs dans leurs produits? Et si oui, pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant? Pour booster leurs marges?Il y a d’abord une responsabilité institutionnelle avec l’octroi d’autorisations des additifs alimentaires. Une fois la réglementation en place, tout dépend de la façon dont les industriels se l’approprient. Cela dit, certains additifs ne sont pas nocifs, comme la stévia, par exemple, qui est autorisée au Japon depuis les années soixante-dix. Notre méthodologie prend donc en compte la façon dont l’additif est classé dans différents pays pour procéder à l’évaluation. Lorsqu’aucune classification dangereuse n’est à signaler, nous considérons cet additif comme peu préoccupant pour la santé. Cela dit, la connaissance évolue, comme pour l’aspartame, par exemple, où l’on se retrouve face à des controverses scientifiques. Nous avons donc créé un risque spécifique que l’on a appelé de controverse qui vient à un niveau intermédiaire dans la classification que nous avons établie. L’aspartame se retrouve donc avec une étiquette d’additif préoccupant pour la santé.Globalement, dans les années 90, nous avons assisté à un développement de la synthèse chimique pour pallier des coûts de matières premières devenus excessifs. Les industriels ont beaucoup de pain sur la planche. Mais certains se sont déjà engagés largement dans une démarche de diminution des additifs, y compris lorsque certains d’entre eux ne sont que sujets à controverse. Nous espérons que l’expertise scientifique portée par Les Palmes et Noteo sera un moteur pour créer un certain changement.Allez-vous accompagner les industriels en leur proposant des alternatives, des pistes de réflexion?C’est notre souhait. Compte tenu de notre indépendance, nous souhaitons apporter un nouvel éclairage sur certains impacts et les inciter à s’informer sur d’autres substances, aux mêmes fonctions, mais moins nocives. Autrement dit, leur demander de regarder si cette nouvelle substance peut être formulée, voire de changer complètement leur formulation de produit. J’ai toujours l’impression que les PME sont des structures plus réactives et sont mieux adaptées au changement, aux circuits plus courts, plus faciles à tracer. Il est intéressant de voir dans notre évaluation combien de petits acteurs ont élaboré des produits formidables. Et ils côtoient les plus grands. Les Palmes valorisent tout le monde, les plus vertueux.