Viande de cheval: acte?II. Ce qui devait être une simple fraude, un accident isolé dont le coupable – Spanghero – a rapidement été identifié et pointé du doigt par le ministre délégué chargé de la Consommation, Benoît Hamon, est en train de virer au scandale alimentaire. Pas un jour, pas une heure même, ne s’écoule sans qu’une nouvelle entreprise se soit impliquée dans cette affaire tentaculaire. Oubliées les lasagnes, victimes de l’escroquerie de l’entreprise audoise aux factures compromettantes et déjà condamnée en 2011 pour des faits similaires, les caméras sont désormais braquées sur les raviolis en boîte de chez Panzani, après les boulettes de viande surgelées vendues par Ikea par-delà les frontières de l’Europe… Jusqu’en Asie?!
Miracle de la libre circulation des marchandises, la viande de bœuf transformée en cheval aura fait de la route, depuis janvier. De l’Irlande à la Roumanie, en passant par Chypre et la Hollande, il n’y a qu’un pas. Ou un trader mal intentionné. Fraude isolée ou mafia de la viande, dans l’esprit des consommateurs, c’est du pareil au même. Du 11 au 17?février, les ventes de l’ensemble des plats cuisinés surgelés ont chuté de 21% en valeur par rapport à 2012, constate SymphonyIRI. Quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle dise, l’industrie agroalimentaire finit, inexorablement, par être rattrapée par ses démons: son image de faiseuse de malbouffe, au nom de la rentabilité et du rendement absolus. Dérives d’un modèle agroalimentaire mondialisé, porté par des groupes multinationaux? Limites d’une industrie de plus en plus portée sur l’assemblage, au détriment de la fabrication?
Certains parlent de la difficulté à s’approvisionner en France. Drôle de paradoxe, quand on sait que l’Hexagone est le premier cheptel bovin d’Europe. La faute à la volatilité des matières premières, d’abord. Quand les prix du lait montent, le bétail pour la viande diminue. Et puis, le temps de l’élevage, qui n’est pas celui des industriels, toujours plus rapide. Une confrontation entre deux mondes. Celui d’une alimentation reposant sur des cultures traditionnelles, où la qualité prime sur la quantité et où les acheteurs, pour reconnaître une bonne viande, utilisent davantage leurs cinq sens qu’un fichier Excel. Contre celui du snacking, des plats tout prêts et pas chers, où le lien entre producteur, industriel et consommateur s’effiloche. “Dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es”, écrivait Jean Anthelme Brillat-Savarin. Mais justement, sait-on encore ce que nous mangeons?
Cette question des origines, c’est aussi celle de l’étiquetage, actuellement en débat à Bruxelles. Aujourd’hui, les industriels ne sont pas tenus d’indiquer l’origine de la viande de leurs plats préparés. Mais demain? Les distributeurs, eux, n’ont pas attendu 2014, date de l’entrée en vigueur de la réglementation européenne sur l’étiquetage pour afficher, sur les emballages de leurs produits à marque propre, la mention 100% viande de bœuf et de porc d’origine française. Carrefour, Intermarché, Picard et, bien évidemment, Findus, le grand perdant de cette crise, pour avoir découvert le pot aux roses avant les autres, ont fait des annonces dans ce sens. Fallait-il, toutefois, en arriver là pour attendre de tels engagements? Risquer une crise sanitaire pour, enfin, s’apercevoir qu’informer le consommateur restait la condition sine qua non d’un contrat de confiance.
Le Gouvernement, aussi, a sa part de responsabilité. N’est-ce pas son rôle de mieux contrôler pour mieux protéger filières et consommateurs? Plutôt que céder aux sirènes de l’auto-contrôle, certes moins coûteux pour le budget de l’État, mais ô combien aléatoire. Dans une économie de marché, la vertu n’existe que si elle est contrainte et forcée. Leçon que Benoît Hamon n’a pas tardé à tirer de la crise du cheval, en plaçant les filières viandes et poissons sous surveillance renforcée de l’État pour toute l’année 2013. Gageons que cette décision suffise à rassurer la filière poisson qui craint déjà que le grand retour des protéines animales ne rime, une nouvelle fois, avec scandale.
Directeur de la publication : Francis Luzin