Il aura suffi d’un contrôle fortuit pour que toute la filière agroalimentaire soit le héros, malgré elle, d’un nouveau scandale. Pourquoi en serait-on surpris? Pourquoi fait-on mine de découvrir ce type d’agissement? Dans un système régi par des logiques de consommation de masse, par des logiques financières et industrielles, par une mondialisation de l’alimentation, rien de surprenant. Et rien de nouveau. Malheureusement. Dans cette course effrénée au prix à tout prix, au détriment de la qualité et de la sécurité alimentaire, où l’humain compte moins que la marge dégagée, c’est toute la filière qui est montrée du doigt. Une filière où l’ensemble des acteurs cherche à gonfler ses profits, dans un contexte de crise économique et de spéculations sur les matières premières.
Premiers concernés: les acheteurs à qui l’on demande de tirer les prix vers le bas. Lorsque Comigel passe commande de viande de bœuf à Spanghero, c’est parce qu’il a obtenu un bon prix qui va soit lui permettre de répondre à la promesse qu’il a faite à l’industriel selon un cahier des charges très (trop) contraignant, soit de gonfler ses marges. Quand Spanghero se tourne vers un trader néerlandais qui, lui-même se tourne vers un trader chypriote qui a importé la viande de Roumanie, même combat. Selon la direction générale de l’alimentation (DGAL) au ministère de l’Agriculture, Spanghero aurait acheté de la viande étiquetée “minerai de bœuf désossé surgelé UE” à 2,60?€ le kilo, soit la moitié du prix de la viande de bœuf. Normal? En tout cas, pas de quoi éveiller les soupçons de cette entreprise, en mauvaise santé financière, qui appartient à la coopérative basque Lur Beri. Et si Comigel reçoit, lui aussi, ses sacs de 10kg de minerai à un prix défiant toute concurrence, c’est normal aussi, c’est qu’il a bien négocié. Les contrôlées sanitaires sont conformes. Les documents de traçabilité sont à disposition. La fabrication du doux mélange de bœuf et de cheval peut commencer. Les consommateurs seront contents. À défaut de qualité, ils pourront se nourrir à “bas” prix.
Qui a donc changé l’étiquette pour transformer le cheval en bœuf? Peu importe qu’un nom sorte du chapeau. C’est bien la filière toute entière, inscrite dans une dynamique de prix à tout prix, qui se trouve piégée dans un engrenage pervers qu’elle a, elle-même, créé. Profitant des conditions idéales offertes par une réglementation ultra légère portée par les lobbies de l’agroalimentaire et par des agences de sécurité sanitaires débordées qui, faute de budget, sont incapables de faire face à l’ampleur des contrôles à réaliser.
Dans ce tableau idéal, où personne n’est responsable, le vrai scandale n’est-il pas de penser que l’on aurait pu trouver du bœuf dans les lasagnes à ce prix-là ?
Francis Luzin Directeur de la publication