
Il ne s’agit pas d’un conte mais l’actualité frôle la fiction. Alors que le Premier ministre Sébastien Lecornu a remis sa démission au Président de la République lundi 5 octobre, 14 heures seulement après avoir annoncé la constitution du gouvernement le plus éphémère de l’histoire de la République, la France navigue à vue, dans un flou quasi artistique. À tel point que certains imaginent déjà, sur les réseaux sociaux, à quoi ressemblerait un pays gouverné par intelligence artificielle, à l’image de l’Albanie qui a nommé, en septembre dernier, un ministre chargé des marchés publics généré par IA.
Dans le commerce, cela fait longtemps que la réalité dépasse le fantasme. En backoffice, les algorithmes et l’IA font déjà partie du quotidien des distributeurs, pour gérer la logistique, le marketing et la relation client. En front office, ces nouvelles technologies se font de plus en plus visibles dans les magasins, tantôt dévolues à la détection des fraudes, tantôt à la personnalisation de l’acte d’achat. Ce n’est plus de la science-fiction, nous sommes bel et bien entrés dans l’ère numérique, celle des chat bots et des agents conversationnels. Et jusqu’ici, la cohabitation avec les robots se passe bien. Un commerçant indépendant sur quatre déclare même avoir recours à l’IA au quotidien, révèle la marketplace Faire.
La vague de l’intelligence artificielle, adoptée par le grand public grâce à Chat-GPT et autres applications d’IA générative, a balayé les premières craintes (légitimes) des hommes pour finalement installer ces nouveaux outils dans nos vies et nos organisations. Levier de performance pour les entreprises et désormais pièce maîtresse d’une relation client individualisée, l’IA fait vivre au commerce hexagonal sa deuxième révolution numérique, après le e-commerce. Sur le papier, l’histoire est belle. Mais dans la réalité ? Derrière l’image parfaite générée par Perplexity, des interrogations demeurent, comme des grains de sable dans le moteur du data center.
La technologie, d’abord, repose sur des investissements majeurs, des connaissances techniques et une maintenance poussée pour suivre le rythme frénétique de ses évolutions. Même pour les grands groupes, la prudence s’impose. Pour les TPE/PME, ces solutions sophistiquées sont difficiles à mettre en place en interne. La tentation de s’appuyer sur le savoir-faire des grands acteurs du web est grande. En témoigne, le rapprochement entre l’enseigne Pimkie et la plateforme chinoise Shein. Pour grimper dans le train en marche et ne pas se laisser distancer par la concurrence, faut-il pactiser avec le diable ? Une interrogation qu’avait déjà soulevé l’arrivée d’Amazon en France, sur le risque de déstabilisation de l’écosystème marchand national…
La récente annonce surprise du président de la SGM, Frédéric Merlin, de faire entrer la marque Shein au BHV ainsi que dans six magasins franchisés des Galeries Lafayette pousse un peu plus loin la réflexion sur un modèle commercial ébranlé par le e-commerce et l’agressivité-prix des plateformes internationales. Sous couvert de modernité – Frédéric Merlin n’a-t-il pas qualifié de « révolutionnaire » l’offre de Shein ?- le prêt-à-porter français doit-il se laisser dévorer par l’ogre chinois ? Dilemme d’un commerce qui doit, aussi et avant tout, répondre à la volonté des nombreux consommateurs qui raffolent de ces offres à prix mini. Dans le roman Au Bonheur des ogres, de l’écrivain Daniel Pennac, les ogres se déguisent en Pères Noël pour séduire les enfants dans un grand magasin. Une ambiguïté qui se poursuit dans le réel : d’un côté du miroir, le trafic retrouvé grâce à une enseigne imbattable, de l’autre, les fermetures d’enseignes de prêt-à-porter. Violente dualité. Le mirage de l’IA ne cache, lui aussi, qu’un enchevêtrement de câbles électriques qu’il faut savoir connecter pour que la lumière soit. Et la chute d’un gouvernement se résume parfois à l’image d’un président, marchant seul sur un quai de la Seine. Désespérément humain. Fin de l’histoire.