Acteurs majeurs des tissus économiques locaux, les commerces de proximité connaissent des fortunes diverses sur le territoire, par-delà l’attachement indéniable que leur vouent nos concitoyens. Si leur survie n’apparaît aujourd’hui plus menacée par le e-commerce, ces commerces du quotidien doivent cependant tenir compte de la concurrence digitale pour proposer un autre modèle de nature à satisfaire les exigences parfois contradictoires des consommateurs.
La crise sanitaire a amené un changement de paradigme. D’un côté, nos concitoyens se sont rués vers les sites de vente en ligne. De l’autre, leur comportement a témoigné d’une tendance lourde, voire d’une forme de prise de conscience, d’un refus de voir « leurs » enseignes mettre la clef sous la porte. Quatre ans après le premier confinement, les commerces de proximité ont confirmé leur résilience. Les ventes en ligne, elles, sont désormais solidement ancrées dans les mœurs. Moyennant quoi, les commerçants sont tenus d’opérer leur mue et de proposer des solutions hybrides pour fidéliser leurs consommateurs.
Coupables d’avoir trop tardé à se « phygitaliser », plusieurs grands noms du prêt-à-porter n’ont pas attrapé le train en marche et été contraints de cesser leur activité, omettant que d’une expérience client satisfaisante dépend une grande partie de la réussite des magasins physiques, qui procurent une dimension personnelle et sensorielle dont le commerce en ligne ne peut se prévaloir. A en croire le baromètre Smart Retail de Samsung, réalisé en avril 2023, 78% des consommateurs estiment par exemple que les conseils des vendeurs en magasin sont très importants et 75% finalisent leur acte d’achat en magasin.
La combinaison de deux modes de distribution
Pouvoir voir, toucher et humer les produits est, il est vrai, un avantage majeur susceptible d’avoir un impact décisif sur la décision d’acheter ou non, mais qui n’est pas toujours suffisant. Pour cette raison, ils ont tout intérêt à s’orienter vers le modèle phygital, qui combine les deux modes de distribution que sont la vente en magasin et la vente en ligne. Le groupe Inditex, qui détient les marques Zara, Stradivarius, Bershka et Massimo Dutti, l’a parfaitement compris et en est aujourd’hui récompensé, ayant affiché une hausse de 10% de son bénéfice net au premier semestre qui contraste avec les difficultés actuelles du secteur de l’habillement.
Apparu en 2013, le phygital est un concept protéiforme gommant les frontières qui peuvent exister entre le physique et le digital, et crée des passerelles entre ces deux univers si longtemps opposés. Déjà expérimenté avec succès dans de nombreux points de vente, il démontre l’existence bien réelle d’une complémentarité et se fonde sur les nouvelles habitudes des consommateurs. Face à une clientèle toujours plus informée, exigeante, qui navigue indistinctement entre le réel et le virtuel, et dont les aspirations sont parfois contradictoires, entre recherche du prix le plus bas, volonté de consommer local et quête de facilité, la finalité pour le commerçant est d’adapter ses stratégies sur l’ensemble des canaux afin de préserver la satisfaction du client.
Des possibilités multiples pour améliorer l’expérience client
D’après une enquête OpinionWay réalisée en mars dernier sur les comportements d’achat des Français, avec un focus inédit sur la génération Z, 91% des membres de cette dernière ont déjà acheté des produits en ligne. Dans le même temps, 30% ont tendance à privilégier les points de vente physiques pour leur shopping et 40% affirment acheter autant en ligne qu’en magasin.
Or, la grande force du modèle phygital est de proposer directement aux consommateurs des outils digitaux au cœur du point de vente. De fait, ces derniers n’ont plus forcément à se servir de leur téléphone ou de leur ordinateur, pouvant opter à la place pour une tablette ou un smartphone mis à leur disposition par le commerçant (NB : à ce sujet, une étude menée en 2021 par Opinion Way a révélé que 48 % des Français utilisent leur smartphone pendant leur séance de shopping, pour prendre un produit en photo ou encore pour comparer les prix).
Installer des bornes de commandes et des applications de réservation, pour favoriser l’accès aux services proposés, et mettre en place des systèmes de caisse dans le cloud pour optimiser les opérations de paiement sont d’autres leviers qui contribuent à améliorer l’expérience client. Idem concernant le showrooming, qui offre l’opportunité de tester un produit en boutique avant de l’acheter en ligne, la création de cartes de fidélité numériques et de catalogues 2.0, la possibilité de choisir la livraison à domicile depuis ses achats sur la e-boutique, celle de prendre ses rendez-vous en ligne et bien sûr le click and collect.
Des avantages concrets pour le magasin phygital
Les commerçants disposent ainsi de nombreux leviers pour non seulement fluidifier le parcours d’achat, mais aussi faciliter le travail de leurs employés et gagner un temps précieux. Une enseigne tournée vers le phygital peut également prétendre à attirer une clientèle plus large, se démarquer auprès des plus jeunes et se distinguer de ses concurrentes en maximisant les possibilités pour le consommateur de poser des questions et de donner leur avis.
Appuyée par des outils digitaux performants, elle est en capacité de proposer les bons produits au bon moment, au bon prix et en bonne quantité. De quoi renforcer substantiellement la stratégie omnicanale et singulariser l’offre des commerçants, lesquels sont aussi de plus en plus nombreux à expérimenter le pop-up store, dont le but est le plus souvent de créer une expérience phygitale unique pour les consommateurs, de tester un nouveau marché ou de lancer un nouveau produit ou service.
Désormais bien implanté dans les centres-villes, le concept octroie la possibilité elle aussi appréciable de louer un local pendant une période définie pour jauger les réactions des clients (ou acheteurs potentiels !), qu’ils achètent sur Internet ou non, et, par extension, leur appétence pour une nouvelle offre.
Qu’il s’agisse d’une grande enseigne ou d’un petit commerce, nos points de vente évoluent et tiennent de plus en plus compte de la cohabitation des modes de distribution physique et en ligne. Les commerçants dans leur ensemble l’ont maintenant bien compris : l’un et l’autre se complètent, sont incontournables et ont chacun des atouts qui leur sont propres.
Pour cette raison, il y a matière à croire que les magasins physiques ont encore de beaux jours devant eux. Et, plus que jamais, un rôle majeur et moteur à jouer, tant pour le citoyen qu’à l’échelle d’un centre-ville.
Par Jérôme Descamps, président de SELECTIRENTE Gestion