Le spécialiste français du traiteur végétal lance une gamme inédite en Europe qui va au-delà du simili-carné. Par Catherine Batteux
Croq’Coulis. Une innovation de rupture pour HappyVore, créée en 2019 par Cédric Meston et Guillaume Dubois, et qui vient de fêter ses 4 ans de présence en GMS. Le tout, dans un contexte bousculé par les méandres du serpent de mer lié au décret interdisant l’utilisation de dénominations animales pour désigner les alternatives à base de protéines végétales (voir plus bas).
« Lorsque nous avons lancé l’entreprise, notre ambition était de développer un projet avec un impact politique sur l’environnement, puisque la viande est à l’origine de 15 % des émissions de carbone en France, rappelle Cédric Meston. L’enjeu était donc d’accompagner les Français dans leur réduction de consommation de viande en leur proposant des produits végétaux gourmands, avec lesquels on se fait plaisir ». HappyVore a, ainsi lancé des steaks, aiguillettes, nuggets, merguez, chipolatas… soit une quinzaine de références.
Très vite, l’entreprise fait le choix de s’industrialiser en rachetant une usine en friche, qui appartenait à Labeyrie, à Chevilly, dans le Loiret. « Elle a été inaugurée il y a un an et demi. Et, aujourd’hui, HappyVore est leader en France de la catégorie simili-carné », ajoute-t-il. Mais n° 2 derrière Nestlé sur l’ensemble de l’univers du traiteur végétal.
Investir le traiteur végétal
Une nouvelle ambition voit ainsi le jour : comment devenir leader sur le traiteur végétal, le non simili-carné (galettes, falafels…) ? C’est tout le travail d’innovation réalisé par la marque pour lancer sa gamme Croq’Coulis qui a nécessité 3 années de R&D. « Nous sommes repartis à la base de ce qui fait qu’un produit est gourmand. Nous voulions offrir une expérience sensorielle gustative inédite qui allie fondant, croquant et coulant », explique Cédric Meston. Avec, au final, deux références moelleuses en Nutri-Score A, riches en protéines, au cœur coulant soit à la sauce tomate & aubergines, soit au curry coco & patates douces et carottes. Des recettes cœur de repas rapides à préparer et développées avec des chefs comme Éric Bouchenoire, MOF, qui officie à l’Atelier Joël Robuchon.
Bigouden et Top Chef
Pour mener à terme son projet, baptisé en interne « Projet Bigouden » pour plus de discrétion, HappyVore s’est appuyé sur ses forces internes. « Nous avons créé un mini Top Chef en demandant à nos salariés d’imaginer un produit gourmand non simili-carné, sur la base d’un cahier des charges. Nous savions juste que nous ne voulions pas d’un produit frit, avec de la panure ou précuit, mais quelque chose de très simple. Nous leur avons donné 3 semaines pour remettre leur projet et… nous avons tout goûté ensemble lors d’un déjeuner. Une short-list de 4 ou 5 produits a ensuite été testée par les consommateurs. Et c’est le Croq’Coulis qui a été choisi », raconte Cédric Meston. Avec cette nouvelle gamme, HappyVore vise à recruter plus de 21 millions de consommateurs français en proposant une alternative gourmande et pratique. Pour cela, un plan de lancement de communication 360° a été lancé sous le claim « Le fruit défendu serait en fait un légume… » avec une campagne média digitale, des jeux concours sponsorisés, un plan d’influence sur les réseaux sociaux, des expériences immersives en magasin, des animations de dégustations, des bons de réduction sur les emballages et des shop-in-shop… En attendant d’autres nouveautés l’an prochain.
Décret ou non ? Sémantique dans les rayons
L’histoire ne date pas d’hier. Elle commence en avril 2018. L’ex-député LREM (aujourd’hui Renaissance) Jean-Baptiste Moreau, éleveur de profession, lobbyiste et rapporteur de la loi sur l’équilibre dans le secteur agricole, dépose un amendement visant à interdire les dénominations associées aux produits d’origine animale pour commercialiser des produits contenant une part significative de matières d’origine végétale. À partir de là, un travail sur un décret d’application introduit en 2021 est porté par la DDPP, suite à l’adoption de la loi sur la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires. « La DDPP se retrouve avec, face à elle, les entreprises du végétal via l’association Protéines France. Et elle a voulu passer en force et faire appliquer le décret à l’été 2021. Du coup, avec Protéines France, nous avons fait appel devant le Conseil d’État », témoigne Cédric Meston. Les mois passent, changement de gouvernement. Et l’histoire se répète inlassablement. « Clairement, le Conseil d’État estime qu’il s’agit d’abus de pouvoir avec un travail des lobbys derrière, et a suspendu en référé le décret publié en juin 2022 pour une durée indéterminée. Mais en septembre, les lobbys de la viande, furieux, remontent au créneau. Ils ont même réussi à affaiblir Protéines France en menaçant de leur couper les subventions. D’ailleurs, l’association s’est plus tard dissociée de nos appels ».
Distorsion de concurrence
Un an plus tard, le décret revient sur scène. Le gouvernement notifie, en septembre 2023, un nouveau texte à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), tenant compte des remarques du Conseil d’État. « Cette fois, le décret est transféré de la DDPP au ministère de l’Agriculture qui dispose d’une cellule dédiée et qui n’a pas sollicité les acteurs du végétal. Nous n’avions aucune information, c’était complètement opaque », se souvient-il. Pour calmer les tensions pendant la crise sociale des agriculteurs, un nouveau décret est publié fin février 2024 et annoncé avec un timing parfait par le Premier ministre, Gabriel Attal, depuis le Salon International de l’Agriculture sur X : « C’était une demande de nos éleveurs : le décret interdisant les dénominations steak, escalope ou jambon pour les produits végétaux a été publié aujourd’hui ».
Et quid des filières végétales françaises ? Car son article 5, exclut, en effet, de son champ d’application « par une clause de reconnaissance mutuelle, les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers ». Autrement dit, cette interdiction ne s’applique qu’aux denrées produites en France, laissant les produits provenant de l’étranger libres d’utiliser ces dénominations pour leur commercialisation en France… Au-delà de la distorsion de concurrence, « le décret d’application n’était pas réaliste, estime Cédric Meston. Nous n’avions que 2 mois pour changer les packagings, alors que les entreprises les achètent au moins 4 à 5 mois à l’avance. Sans compter les pénalités prévues qui étaient de l’ordre de 1 500 € par produit et par jour. Si elles avaient été appliquées, nous aurions tous fait faillite ! ».
Le 22 mars 2024, les acteurs du végétal contre-attaquent. HappyVore, Umiami, La Vie, Accro et Nutrition & Santé intentent une action juridique en portant devant le Conseil d’État un référé-suspension contestataire du décret gouvernemental. L’audience a lieu en avril pendant 3 heures, face au ministère de l’Agriculture. « On nous a demandé pourquoi nous n’étions pas représentés par une association… Et pour cause… On nous a aussi dit que nous étions tellement bons en marketing, que nous allions pouvoir trouver de nouvelles appellations dans les timings… Bref, en sortant, nous ne savions pas ce qui allait être décidé », avoue Cédric Meston. Quelques jours plus tard, le Conseil d’État suspend de nouveau en urgence le décret au motif, notamment, « qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de cette interdiction », que le texte, applicable au 1er mai, « porterait une atteinte grave et immédiate aux intérêts des industriels ». Comme pour le 1er décret, celui-ci est renvoyé devant la CJUE qui ne s’est pas encore prononcée. « On nous a dit autour du 3 septembre », souligne Cédric Meston. Avant que le texte ne redescende au niveau du Conseil d’État qui devra faire une recommandation.