Le décret sacrifiant le steak végétal est publié

Adieu steak, escalope, jambon de soja ou de pois chiches. Le décret interdisant l'utilisation de dénominations animales pour désigner les alternatives à base de protéines végétales vient d'être publié. Il concerne spécifiquement les produits fabriqués en France. Sémantique dans les rayons. Avec le décret publié le 26 février, il est désormais interdit de nommer les produits végétaux par des appellations empruntées au vocabulaire de la viande. On pourra sans doute encore manger des steaks de thon et des filets de daurade, mais c'est fini pour le steak aux protéines végétales, tout comme pour le jambon, l’escalope ou le filet. Serpent de mer initié en juin 2022, quand un premier décret avait été publié au Journal Officiel, le texte avait été suspendu par le Conseil d’Etat le mois suivant. Le gouvernement français avait alors notifié un nouveau texte à la Commission européenne, en septembre dernier, tenant compte des remarques du Conseil d'Etat. Le texte final a été publié au Journal Officiel le 26 février 2024. 1 an de sursis pour les stocks Le texte entrera en vigueur 3 mois après sa publication, afin de laisser le temps aux opérateurs d'adapter leur étiquetage. Il prévoit la possibilité de commercialiser les denrées fabriquées ou étiquetées avant son entrée en vigueur jusqu'à épuisement des stocks, au plus tard un an à compter de sa publication. Concrètement, le décret encadre, sur le territoire français, l'emploi des dénominations désignant traditionnellement les denrées alimentaires d'origine animale pour la description, la commercialisation ou la promotion des denrées à base de protéines végétales. Ainsi, le texte liste les termes dont l’utilisation est interdite pour la désignation des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Il y en a 21, dont le steak, l’escalope, le jambon, le filet, le travers, la grillade ou encore les mentions boucher/bouchère ou charcutier/charcutière. Il liste également les termes autorisés pour la désignation des denrées alimentaires d'origine animale pouvant contenir des protéines végétales avec, pour chacune de ces denrées, la part maximale de protéines végétales qu’elles peuvent contenir. Par exemple, 0,50% pour les lardons, 1% pour l’andouille, 2% pour les merguez, ou encore 3,5% pour le cordon bleu, et les nuggets. Faut pas prendre les consos pour des jambons Revendication de longue date des acteurs de la filière animale, dans un contexte global de crise de l’agriculture et, en particulier, des éleveurs, le texte entend lutter contre une prétendue confusion créée chez les consommateurs par les mentions steak de soja, jambon végétal, merguez végétarienne sur les packagings, ceux-ci s’imaginant sans doute acheter du pur bœuf ou porc français… En tout cas, le timing de la publication du décret tombe à pic : « C’était une demande de nos éleveurs : le décret interdisant les dénominations steak, escalope ou jambon pour les produits végétaux a été publié aujourd’hui », a annoncé le Premier ministre, Gabriel Attal depuis le Salon International de l’Agriculture sur X. Parce qu’effectivement, il s’agit bien de « nos éleveurs » et pas ceux des autres pays. Dans son article 5, le décret exclut, en effet, de son champ d'application « par une clause de reconnaissance mutuelle, les produits légalement fabriqués où commercialisés dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans un pays tiers ». Simili-carné Made in France : c’est vache ? C’est la question posée par Happyvore, n°2 du traiteur végétal, qui exprime son inquiétude face au décret. Car cette interdiction ne s'applique qu’aux denrées produites en France, laissant les produits provenant de l'étranger libres d'utiliser ces dénominations interdites pour leur commercialisation en France. Happyvore estime que cette mesure crée une inégalité de traitement entre les entreprises françaises et étrangères, entravant ainsi la concurrence et l'innovation sur le marché des alternatives végétales. « En ne ciblant uniquement que les entreprises produisant en France, ce décret va à l'encontre de l'agriculture française qui vend aux industriels français leurs récoltes. Au contraire, ce sont les industriels européens qui sont ensuite favorisés sur le marché français. Cela désavantage les acteurs locaux et freine leur capacité à innover pour répondre à la volonté croissante d'une alimentation plus végétale », précisent Guillaume Dubois et Cédric Meston, cofondateurs de Happyvore. Quid des entreprises qui produiront des steaks végétaux dans un pays tiers pour les commercialiser en France ? Quid de la défense du Made in France ? Quid de la filière de pois chiches française ? Faudra-t-il que les foodtech des alternatives végétales aillent produire dans d’autres pays pour aborder le marché français afin de ne pas souffrir de distorsion de concurrence ? Ou faudra-t-il débaptiser tous les produits en « galettes », sous réserve que les Bretons ne crient pas au loup. Lexicologues à vos tablettes… Complètement décalé Même inquiétude du côté de Umiami, foodtech française de l’industrie des alternatives végétales à la viande. « Cette mesure, déjà suspendue une première fois en 2022, compromet sérieusement les perspectives de vente de ces innovations françaises produites sur le territoire, face aux grandes entreprises étrangères non concernées par cette nouvelle législation », soulignent Tristan Maurel et Martin Habfast qui jugent ce décret « en total décalage avec les ambitions nationales en matière de réindustrialisation et de lutte contre le changement climatique », alors même que l'Etat avait manifesté son soutien à l'industrialisation des acteurs du végétal via le plan France 2030. C.B.