Les Français sont inquiets. La montée de l’inflation qui devrait atteindre les 3 % dans quelques mois, la hausse des prix de l’énergie (électricité, gaz), du carburant, et même, des pâtes (+ 41 % sur les marques premier prix en janvier) a placé la question du pouvoir d’achat au cœur de tous les débats, des meetings politiques des candidats à la présidentielle aux négociations commerciales qui se jouent en ce moment entre fournisseurs et distributeurs. Et le torchon brûle. Alors qu’en février, 59 % des Français considèrent que leur porte-monnaie est l’enjeu principal de l’élection présidentielle, selon le baromètre OpinionWay-Kéa Partners pour Les échos et Radio Classique, les industriels tentent de faire passer des hausses de prix à hauteur de 6 à 6,5 % sur fond de flambée des matières premières et des coûts de production. Fin de non-recevoir des distributeurs qui réaffirment leur position de défenseurs du pouvoir d’achat. Un blocage que seul le médiateur des relations commerciales agricoles, Thierry Dahan, pourrait lever.
Derrière le sujet récurrent de la relation conflictuelle entre la grande distribution et ses fournisseurs se cache, en creux, celui d’un modèle de consommation à bout de souffle. Le “baguette-gate” provoqué par les annonces de Michel-Édouard Leclerc et les vives réactions qui s’en suivirent, traduisent l’impasse dans laquelle le secteur se trouve : comment préserver des prix bas pour ne pas céder du terrain aux discounters, de plus en plus visibles sur le marché (Action, Mere, Hema, Costco, Lidl, Aldi…) tout en maintenant un équilibre économique viable pour les producteurs et les intermédiaires. Si les consommateurs sont prêts à débourser un peu plus cher sur certains produits considérés comme “exceptionnels”, leur tolérance s’arrête quand le quotidien est aussi touché, à savoir : le pain, les pâtes, la confiture et les biscuits. Des essentiels sur lesquels la barrière du prix est d’autant plus forte que les achats sont récurrents.
Pour alléger le ticket de caisse, les enseignes usent et abusent des promotions. À raison, les clients en redemandent, quitte à oublier le “vrai” prix de leur alimentation. Certes, une pédagogie s’impose pour que ces derniers acceptent de débourser quelques centimes supplémentaires afin que l’ensemble de la chaîne agroalimentaire soit correctement rémunérée. Ils sont d’ailleurs capables de le faire quand la cause leur semble juste, à l’image du succès de la marque C’est qui le Patron ? Mais en contrepartie, les enseignes doivent être en mesure de leur apporter une proposition à valeur ajoutée, en résonance avec des préoccupations plus personnelles, environnementales (offre de vrac, ateliers DIY et de réparation, location), économiques (plateforme d’achat-revente, produits de seconde main) ou militantes (agriculture bio et raisonnée, écoresponsabilité). En somme, faire en sorte que la perte de pouvoir d’achat ne s’apparente plus au déclassement mais à une nouvelle forme de consommation, maîtrisée et sobre, expression d’une identité et d’idées qui ne se résumerait pas à la seule question du prix.
Francis Luzin, Directeur de la publication