Mangez-moi, Buvez-moi. Les étiquettes des intrigantes petites fioles invitant Alice à avaler leur contenu ont été les précurseurs de nos applications alimentaires. La comparaison peut sembler tirée par les cheveux mais, finalement, Lewis Carroll avait bien saisi la vocation prescriptive des indications alimentaires. Si l’injonction faite à Alice ne s’embarrassait ni de nutrition, ni de santé, déjà, elle démontrait la puissance d’un tiers invisible dans le choix des produits que l’on consomme. 156 ans après la publication du roman anglais, le papier a cédé sa place au digital et c’est notre smartphone qui se charge d’orienter nos choix en magasins.
Yuka, QuelProduit, ScanUp, BuyOrNot, Open Food Facts… Les applications se suivent et se ressemblent pour nous révéler la composition des produits de grande consommation.
En tête de file, l’application Yuka, lancée en janvier 2017, enregistre 21,5 millions d’utilisateurs dans le monde, 5 millions de produits scannés par jour et 1,5 million de produits (alimentaires et non alimentaires) référencés. Le 15 mars dernier, l’UFC-Que Choisir a officiellement mis sur le marché son application QuelProduit qui décrypte les compositions de milliers de produits alimentaires, de cosmétiques et de produits ménagers. Quelques semaines plus tôt, c’était au tour d’Intermarché de sortir “Consomieux”, une nouvelle fonctionnalité au sein de son application maison qui permet au consommateur de personnaliser la sélection de ses produits afin de mieux s’alimenter. L’enseigne s’est mise à la pointe du numérique en intégrant un algorithme sophistiqué pour proposer des alternatives aux critères préremplis ainsi que des “lens” Snapchat, filtres digitaux stylisés sous forme d’animations, utilisables en mode selfie, pour séduire les jeunes générations.
Si face à cette profusion d’applications, le consommateur peut se sentir un peu perdu (les Français n’utilisent, en moyenne, qu’une seule solution, sans s’embarrasser de réaliser un comparatif du marché) il ne manque désormais pas d’outils pour percer à jour l’opacité de certaines recettes. Un vent de transparence qui pousse les fabricants à se dévoiler davantage. Souvent critiquée par les défenseurs du naturel, l’industrie agroalimentaire a pris la question à bras-le-corps pour rectifier son image auprès des populations. En 2019, la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF) a conclu un partenariat avec la FoodTech ScanUp afin de renforcer l’agilité des PME agroalimentaires. Grâce à l’application mobile, elles peuvent tester et valider leurs innovations directement avec les consommateurs. Toutes les questions peuvent être abordées, de la recette au packaging, en passant par le mode de production ou encore l’origine des matières premières.
Un bon moyen de responsabiliser les individus est de les impliquer dans les évolutions de leur consommation. Car, après tout, si les applications ou les marques assurent le rôle de prescripteurs, l’on sait bien qu’au final, c’est la volonté seule des consommateurs qui commande l’acte d’achat. Et celle-ci peut être changeante, versatile, voire contradictoire. Qui a envie de se voir conseiller un paquet de galettes de riz à la place d’une tablette de chocolat aux fruits secs ? Difficile de concilier responsabilité, nutrition et gourmandise. Et il est fort à parier que beaucoup ne délaisseront pas leur pâte à tartiner cacao-noisette pour se plier aux recommandations de leur application. Si l’on touche, là, les limites de la préconisation, il faut reconnaître que les acteurs de la FoodTech ont rééquilibré la relation entre les consommateurs et les marques, en offrant aux premiers les clés de compréhension de la fabrication des PGC et aux seconds, la possibilité de construire, avec eux, les produits qu’ils attendent, et par conséquent, de satisfaire leurs aspirations.
Francis Luzin, Directeur de la publication