Pris individuellement, le stéréotype peut paraître anodin. C’est son accumulation qui pose problème et crée le biais. L’air de rien, de manière insidieuse, il fait son chemin dans la représentation que nous avons du monde, des rôles dévolus à chacun, des injonctions martelées au quotidien. Il s’ancre progressivement, fait corps avec nous au point que l’on ne le remarque même plus. On laisse faire, on se dit que ce n’est pas grand-chose, que c’est de l’humour, qu’il ne faut pas voir le mal partout. Et puis, un gap se forme entre nos aspirations et ce que nous propose en miroir les stéréotypes véhiculés par le marketing et les publicités dont nous sommes abreuvés chaque jour par des médias de plus en plus diversifiés : Internet, réseaux sociaux, télévision, radio, affichage, packagings, catégorisations en points de vente, catalogues, promotions… Là, s’expriment les archaïsmes d’un marketing segmentant et (trop ?) différenciant. Quand les packagings des jouets scientifiques ne s’adressent qu’aux garçons et les activités créatives aux filles. Quand les messages invisibilisent les pères en faisant porter la charge mentale de l’organisation du foyer aux mères, quand ils sont représentés comme incompétents pour toute tâche ménagère tandis que les femmes sont enfermées dans des rôles de ménagères ou de représentations à portée sexuelle. Quand les uns sont experts et les autres confinées à un rôle esthétique ou inactif. À cet égard, les résultats de l’étude du CSA sur la représentation des femmes dans les publicités télévisuelles, en 2017, sont édifiants.
Face aux nouveaux enjeux sociétaux, marques, distributeurs et communicants sentent le vent changer et s’engagent dans la lutte contre les stéréotypes. Parfois de façon disruptive et positive. Parfois maladroitement. Parfois par opportunisme. Mais le changement est là, palpable. Au Royaume-Uni, un arsenal législatif antisexiste a été imposé par l’Advertising standard authority. Représenter un homme ou une femme incapable de faire la vaisselle ou changer une roue de voiture tombe, par exemple, sous le coup de la loi. En France, plusieurs acteurs appellent de leurs vœux un cadre législatif sans lequel, selon eux, rien ne bougera. Mais c’est sans compter sur le pouvoir du consommateur, avec sa carte bancaire qui, lui, risque de faire la différence.
Les marques l’ont bien compris. Une ère nouvelle s’ouvre. Elles s’engagent en signant des chartes contre les représentations sexistes dans les publicités télévisuelles (CSA – 2018) ou auprès d’organisations comme l’Unstereotype Alliance, un organisme créé à l’initiative d’ONU Femmes. Une Charte pour une représentation mixte des jouets vient aussi d’être adoptée, en septembre, par l’ensemble des acteurs de la filière – fabricants, distributeurs, annonceurs, associations – pour lutter contre les préjugés de genre, stéréotypes et biais inconscients afin, notamment, de faire progresser la présence des femmes dans la science.
Les marques entrent en mutation en essayant de trouver des moyens d’activation cohérents, dans leur domaine de compétence, pour voir comment elles peuvent apporter davantage à la société avec leur produit, leur image, leur comportement, dans la lutte contre les stéréotypes. Avec, à la clé, des campagnes qui cassent les codes traditionnels, qui créent parfois la polémique mais qui font le buzz. En s’engageant, les marques prennent, certes, le risque de cliver et de perdre quelques consommateurs. Mais font le pari que ceux qui resteront derrière elles, en seront les ambassadeurs fervents.
Francis Luzin, Directeur de la publication