Je rêve d’un monde où il suffirait de quelques mots pour que l’intégralité de mes courses alimentaires soit prise en charge par un autre que moi. Un monde où il suffirait de dire à Alexa, Echo ou quelconque autre intelligence artificielle : “pizza”, “pâtes”, “concombre” et “steack haché” et hop, le tour serait joué. La commande passée, payée, livrée. Même plus besoin de cliquer, de surfer, de regarder sur Internet : c’est la promesse du commerce vocal. Libérer vos mains pour mieux utiliser votre voix. Converser avec une enceinte connectée ou un chatbot pour transformer l’acte d’achat en geste anodin, ludique et facile à réaliser. Ça, c’est le rêve.
Dans la réalité, la relation de couple entre robot et humain s’avère plus complexe. Sur le plan technique, d’abord. Aujourd’hui, les intelligences artificielles ont le quotient intellectuel d’un enfant de deux ans… Ce qui limite la profondeur de leur conversation. Il faudra des années d’apprentissage avec l’appui de neurologues, anthropologues et linguistes pour doter les machines d’une faculté de langage aussi subtile que celle des hommes. Ces derniers s’agacent vite des lacunes de leurs assistants vocaux, perdent patience et s’en détournent. Un chiffre éloquent : 90 % des utilisateurs qui ont une fois réalisé un achat par le biais de l’enceinte Alexa n’ont pas l’intention de réitérer l’opération… La w est dite. À cela, s’ajoutent des freins culturels, d’usage, voire psychologiques, tels que la peur d’être embrigadé par une marque, écouté par les GAFA ou pisté par des retailers.
Difficile de croire, alors, à l’avènement du commerce vocal. Si quelques opérateurs proposent le paiement à la voix, la majorité ne parvient pas à inscrire dans l’oralité la totalité du parcours d’achat qui se termine, toujours, par un paiement en ligne (et digital). Mais il serait un peu court de s’en tenir aux limites actuelles du marché. Car les choses avancent et vite. Les nouvelles générations, elles, ont déjà intégré le vocal et dès lors que les outils seront devenus vraiment opérationnels, ils n’hésiteront pas à les utiliser dans leur vie quotidienne. De la même façon – les concepteurs de chatbots en sont convaincus – le paiement à la voix est l’aboutissement ultime et incontournable du commerce conversationnel.
En attendant, les assistants vocaux déçoivent et se réduisent à diffuser de la musique, énoncer la météo du jour et informer sur l’état du trafic routier. Si certains précurseurs imaginent un futur où tout serait possible à la voix, d’autres restent plus terre à terre : le commerce vocal, oui, si cela apporte du service, de la valeur ajoutée et un supplément d’âme à l’acte d’achat. En clair, dans le commerce comme pour la science, le sens prévaut. Parce qu’en dépit de toutes les nouvelles technologies qui fleurissent, nous restons des hommes, parfois intuitifs, impulsifs ou indécis et nos actes ne sauraient être automatisés, mécaniquement générés ni mathématiquement anticipés. Le commerce, au-delà de la transaction, c’est aussi de l’émotion et c’est sans doute encore cette part-là qui échappera (longtemps ?) à nos chers assistants vocaux.
Francis Luzin, Directeur de la publication